17 DÉCEMBRE 2024

À la joie - Entretien avec Jérôme Bonnell

Sur le thème de la rencontre amoureuse en temps de confinement, Jérôme Bonnell (Le temps de l’aventure, Les hautes herbes, Chère Léa) signe une comédie à la joyeuse sensualité, subtile réflexion sur l’altérité. Entretien.

À la joie se déroule en 2020, en pleine crise pandémique. L’histoire est-elle née d’un besoin de témoigner de cette période ?
Jérôme Bonnell
: Le projet a vu le jour au début du confinement, en pleine première vague. Quand tout s’est arrêté, à la mi-mars 2020, c’est presque par surprise que j’ai commencé à écrire cette histoire, stupéfait comme chacun par la situation inédite qui nous frappait. C’est d’abord sans recul sur cette crise pandémique que, guidé par mon émotion seule, j’ai imaginé Véra, puis Sam, et leur histoire d’amour singulière. Comme si rebattre les cartes de nos vies, en nous enfermant, rebattait celles du filmage et de la dramaturgie. Avec une question apparemment simple : un amour entre deux personnes peut-il naître et se vivre en l’absence des autres ? Sans le regard d’un tiers ? Sans le miroir de la société ? En s’aimant ainsi, on est débarrassé du poids des rivalités, des comparaisons ; on élimine jalousie et possessivité, on retrouve une part d'enfance, on gagne en liberté, en désinhibition, voire en sauvagerie, puisque personne ne nous regarde, ni ne nous juge. Mais un étouffement nous guette, violent, inéluctable. S’ensuit alors une autre question, plus complexe : un tel amour, isolé des autres, en devient-il d’autant plus vrai, ou au contraire d’autant plus faux ? En restant en vase clos, voit-on mieux ou moins bien l’autre ?

Le film commence comme une comédie romantique, mais il y a des surprises… 
Jérôme Bonnell: Je tenais absolument à ces changements de tonalité : passer de la comédie romantique – voire burlesque – au drame. Le scénario, puis le film pouvaient accueillir ces variations de manière naturelle, car elles résonnaient avec un sentiment profond ressenti par tous pendant cette période : ne plus savoir à quelle distance se mettre de la situation. Certains ont adoré le confinement, d’autres ont été très angoissés, ajoutons que le confort n’était pas le même pour chacun, sans parler de ceux qui sont tombés malades ou qui ont perdu des proches. On a obéi aux gestes barrière tout en en riant, on se moquait de nos propres psychoses, pourtant bien réelles et justifiées. Le rire était comme une défense, parfois le seul recours. On retrouve cela dans le film. Mais la violence de la réalité n’est jamais loin.

Comment s’est passé le travail avec les comédiens, notamment pour les scènes d’amour ? 
Jérôme Bonnell: Mes personnages brisent et redéfinissent sans cesse certaines limites de leur comportement, cela fait partie de l’histoire et m’a poussé à travailler en amont avec les acteurs, pour leur donner un maximum de liberté au moment du tournage. En revanche, les scènes d’amour étaient minutieusement préparées, chorégraphiées et jamais improvisées. Le mot d’ordre était surtout de ne rien voler aux acteurs, de ne jamais les mettre au pied du mur, ni dans une situation d’inconfort. Tout a été discuté des semaines à l’avance. Je suis même assez fier de dire que nous n’avons pas eu besoin de coordinateur d’intimité, nous avons pu construire une relation de confiance et cela dans un grand professionnalisme. Je veux saluer le courage d’Amel Charif et Pablo Pauly, ainsi que leur délicatesse et générosité l’un vis-à-vis de l’autre. Ç'a été un tournage très heureux.

À la joie est-il une histoire d’amour avant d’être un film sur le confinement ? 
Jérôme Bonnell: Bien que le film parte du confinement – un confinement qui a pesé sur les rapports humains et le monde du travail –, son sujet le dépasse : j’ai voulu ce film bien plus universel qu’un simple témoignage ou fantasme. Pour moi, À la joie est le vacillement de la perception, la déformation des émotions et de leur intensité, la somme des souvenirs communs mais différents pour chacun. Exactement comme lorsqu’on vit une histoire d’amour. Et qu’on est deux.

Propos recueillis par Jonathan Lennuyeux-Comnène