28 FÉVRIER 2011

Au Festival de la Rochelle, le Liban poétique de Ghassan Salhab

L'auteur de Terra incognita (à voir sur Universciné) est venu débattre avec le public à l'occasion d'un hommage à son oeuvre. Dans le catalogue du Festival, un beau texte de présentation du cinéaste signé Raphaël Millet. Extrait ci-dessous. Et extrait de notre rencontre avec un réalisateur qui se veut "exigeant" avec les images préconisant de s'y "abandonner"... comme en amour ?

... La ligne cinématographique que Ghassan (c’est ainsi qu’au Liban on l’appelle ; on ne dit que très rarement « Salhab »), trace avec persévérance depuis près de vingtcinq ans en fait un des cinéastes les plus importants du cinéma libanais de l’après-guerre civile.

Pour qui connaît un peu la scène cinématographique beyrouthine, Ghassan, plus âgé d’une dizaine d’années environ que la plupart des autres réalisateurs (les Khalil Joreige, Joanna Hadjithomas, Danielle Arbid, Akram Zaatari, etc.) qui sont et font le cinéma libanais d’aujourd’hui sur la scène internationale, est indéniablement l’aîné vers qui les autres regardent non sans respect. Cela ne fait pas de Ghassan une figure tutélaire, mais bien plutôt une figure légèrement solitaire qui plane un peu au-dessus d’une scène libanaise en effervescence.

Cette indéniable distinction au milieu de la mêlée beyrouthine lui vient largement du fait qu’il est certainement le plus rigoureux, le plus constant et le plus prolifique de ces cinéastes. Ainsi, après une première bordée de courts métrages tournés entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 1990, tels que La Clef, Après la mort et Afrique fantôme qui lui ont permis d’affiner son style et surtout définir la tonalité générale de son oeuvre, Ghassan a su aligner avec une certaine régularité (environ tous les trois ou quatre ans) une série de longs métrages de fiction, Beyrouth fantôme, Terra incognita et Le Dernier Homme, puis un long métrage documentaire, 1958, formant aujourd’hui le corpus central de son oeuvre.

À cela se sont mêlés des films plus courts relevant tout à la fois de l’essai, de l’étude et du journal intime, alliant bien souvent fiction et documentaire, comme La Rose de personne, Mon corps vivant, mon corps mort, Narcisse perdu, Brève rencontre avec Jean-Luc Godard ou le cinéma comme métaphore et (Posthume). À vrai dire, c’est tout son cinéma qui relève de l’essai (ici pris aussi au sens de « tentative ») et met en abîme, à l’épreuve et en question tant le statut de l’image (pellicule/vidéo, animée/fixe) que le statut du récit (document/fiction, collectif/intime, témoignage/interprétation).

Ce qui travaille Ghassan au corps (et au coeur), c’est la question fondamentale de la double impossibilité d’être et de ne pas être au monde. Question qu’il s’efforce d’appréhender avant tout à travers la philosophie et plus encore la poésie.

Et c’est sans doute là que se rouve la définition la plus juste de son cinéma, s’il fallait en donner une: un cinéma où philosophie et poésie s’entremêlent, et où règne une incertitude ontologique comme existentielle qui implique une retenue dans le discours, la photographie et la mise en scène..."

Raphaël Millet, extrait du Catalogue du Festival de la Rochelle 2010) Hommage à Ghassan Salhab