21 SEPTEMBRE 2020

Au nom d'Huppert

Pour sa première incursion dans le portrait de star, William Karel accompagne Isabelle Huppert dans une introspection inédite, qui prend la forme d’un voyage dans son incroyable filmographie. Entretien.

Media

Vous n’êtes pas un habitué des portraits d’acteurs. Qu’est-ce qui vous a amené à celui-ci ?

William Karel : C’est vrai, j’ai plutôt l’habitude de réaliser des documentaires politiques ou historiques. Mais il se trouve que je connais Isabelle Huppert, car nous nous sommes plusieurs fois croisés à nos débuts. J’ai été photographe de plateau et réalisateur des making of de certains de ses films, au début des années 1980. Je lui ai parlé de l’envie d’ARTE de diffuser un portrait d’elle, et elle a accepté.

 

Comment la forme du film s’est-elle décidée ?

William Karel : C’est un documentaire atypique, qui n’obéit pas aux standards du genre. Isabelle ne voulait pas d’entretien filmé. Elle a proposé que la narration prenne la forme d’un journal en voix off, avec pour fil conducteur Malina (1991), le film de Werner Schroeter où on la voit en train de taper à la machine. Elle écrit ainsi son histoire, uniquement par le biais d’images de films dans lesquels elle a joué et d’extraits d’interviews passées.

 

C’est donc un documentaire conçu à quatre mains ?

William Karel : Isabelle ne sera pas d’accord, mais pour moi c’est son film ! Ce qui est sûr, c’est que nous l’avons fait ensemble. Nous avons d’abord enregistré un long entretien, qui a donné naissance à un texte qu’elle est venue ensuite lire en studio. Voix et images se répondent, depuis les archives familiales où elle apparaît enfant jusqu’à La caméra de Claire de Hong Sang-soo (2017). Sur les près de cent cinquante films qu’elle a tournés, nous en avons choisi vingt.

 

Parmi ces films, y en a-t-il dont vous vous sentez particulièrement proche ?

William Karel : Je dirais Loulou, parce que ma rencontre avec Maurice Pialat, auprès de qui j’ai travaillé plusieurs années, a été déterminante* et La dentellière de Claude Goretta (1977), pour moi l’un des plus beaux. À la fin du portrait, Isabelle dit qu’elle ne s’arrêtera jamais de tourner. J’aime cette idée. C’est une actrice hors du commun, d’un professionnalisme qui met à rude épreuve. Si certains la disent froide, c’est parce qu’elle ne veut rien laisser paraître de sa vie personnelle. Nous avions enregistré un joli moment où elle évoque l’émotion de son père quand il a découvert La dentellière. Elle n’a pas voulu qu’il figure dans le film !

 

Ce portrait amorce également une réflexion sur les rapports entre personne et personnage, entre vérité et fiction...

William Karel : Pour Isabelle Huppert, le personnage n’existe pas. Un acteur ne fait qu’incarner une succession d’états. En racontant sa biographie avec des morceaux de fiction, ce portrait fait écho à cette idée. Finalement, il s’agit peut-être du film de fiction que je n’ai jamais fait avec elle, mais dont j’ai toujours rêvé...

 

Propos recueillis par Jonathan Lennuyeux-Comnène

 

*William Karel prépare pour ARTE un portrait de Maurice Pialat.