11 JANVIER 2021

avoir-alire.com - Laurent Cambon: Adolescentes

"Les Invisibles nous avait sidérés par sa beauté. Plus tôt encore, Sébastien Lifshitz nous entraînait sur les sillages de son père, à travers les Etats-Unis dans un documentaire autobiographique La traversée, saisissant dans ce road movie sentimental, les témoignages merveilleux de ses compagnons de passage. Le cinéaste s’est mis depuis longtemps dans les pas de Raymond Depardon, tentant de recueillir après lui, la substantifique moelle de l’âme humaine à travers la France. C’est un pays que Sébastien aime, n’hésitant pas à aller au bout des campagnes, loin de la capitale, au plus près de ces gens ordinaires qui façonnent la France. Cette fois, il a pris le pari très risqué de suivre le destin de deux jeunes filles, Emma et Anaïs, depuis leurs treize ans, jusqu’au départ du cocon familial, après le passage du baccalauréat. Quelle aventure ! Comment une caméra peut-elle ainsi prendre place au sein de deux familles de Brive-La-Gaillarde, au sein du lycée et du collège que ces deux gamines fréquentent, au sein de leur bande d’amis, pendant près de cinq ans ? Le film ne donne aucune réponse à ce mystère, le cinéaste parvenant miraculeusement à s’effacer et à faire oublier la présence de la caméra pendant ces années qui, pour des adolescentes, ressemblent à l'éternité. On imagine l’immense travail fourni par le réalisateur pour préparer ses personnages à ces cinq années de vie (presque commune). La caméra s’installe dans les parcs, dans les voitures, au bord des rivières, dans les maisons ou les écoles, auprès de tous ces gens d’une authentique beauté. Pourtant, elle semble se confondre avec le paysage. Pas un regard ne la croise. Aucune réponse aux éventuelles interrogations du réalisateur. Aucune mise en scène non plus, juste le saisissement de scènes de la vie quotidienne où les jeunes filles se construisent, pendant que leurs parents luttent pour les cadrer et leur offrir le meilleur. Lifshitz a choisi deux familles totalement opposées. La première appartient à la bourgeoisie corrézienne, plutôt bien installée, attentive à la réussite scolaire des enfants ; la seconde appartient à un milieu social plus défavorisé : on comprend qu’Anaïs a été placée en famille d’accueil, les parents font ce qu’ils peuvent et les malheurs s’abattent sur eux, qu’il s’agisse de problèmes de santé ou d’incendie dramatique. Pourtant, les deux jeunes filles partagent une amitié indéfectible, quasi fraternelle, que l’avenir, sans doute, ravagé par le déterminisme social, mettra en berne. Peu importe. Plus que deux classes sociales qui s’opposent, Les adolescentes raconte l’enfance dans ce qu’elle a de merveilleux et d’insupportable à la fois. Il sera difficile pour le spectateur de ne pas s’identifier aux personnages qui traversent ce récit social. Les adolescents se retrouveront dans ces deux portraits touchants, hantés par l’angoisse des examens, les différends avec les parents, et surtout les premières amours que personne n’oublie jamais. Les adultes se reconnaîtront dans la bataille qu’ils mènent avec leurs propres enfants, pour qu’ils prennent la mesure de l’importance de l’école dans leur avenir ou lorsqu’il s’agit d’accepter qu’ils ont grandi et doivent quitter le cocon familial. Sébastien Lifshitz ne se moque jamais de ses personnages. Au contraire, on perçoit la force éthique de sa caméra qui ne juge jamais. L’empathie profonde du réalisateur pour ces deux jeunes filles leur permet de donner à voir plus qu’elles ne sont en vérité. On perçoit le doute, la pudeur, la peur, la joie, bref tous ces sentiments merveilleux qui construisent les adultes de demain. La force du film s’incarne dans l’immense générosité qui transparaît dans le regard de la caméra. Sébastien Lifshitz filme le cycle des saisons. La lumière de l’été succède aux montagnes enneigées, avec entre les deux, les mois d’école, les colères contre les devoirs scolaires, les disputes avec les parents, et les moments de légèreté et de douceur qui font aussi la vie. On tremble pour Anaïs qui semble pourtant si forte face à la fragilité de sa mère. On s’émeut devant les larmes d’Emma qui bataille contre la solitude et l’épuisement. Et on regarde ces parents qui vieillissent, doutent, mais continuent de croire en l’avenir de leurs enfants. Les adolescentes rend hommage à toutes les jeunesses, celles-là même qui feront la France de demain. Et soudain, comme par enchantement, le film transforme peut-être le sentiment vieillot que le pire est toujours à venir en une forme d’espoir inépuisable où tout semble possible."

"Les Invisibles nous avait sidérés par sa beauté. Plus tôt encore, Sébastien Lifshitz nous entraînait sur les sillages de son père, à travers les Etats-Unis dans un documentaire autobiographique La traversée, saisissant dans ce road movie sentimental, les témoignages merveilleux de ses compagnons de passage. Le cinéaste s’est mis depuis longtemps dans les pas de Raymond Depardon, tentant de recueillir après lui, la substantifique moelle de l’âme humaine à travers la France. C’est un pays que Sébastien aime, n’hésitant pas à aller au bout des campagnes, loin de la capitale, au plus près de ces gens ordinaires qui façonnent la France. Cette fois, il a pris le pari très risqué de suivre le destin de deux jeunes filles, Emma et Anaïs, depuis leurs treize ans, jusqu’au départ du cocon familial, après le passage du baccalauréat. Quelle aventure ! Comment une caméra peut-elle ainsi prendre place au sein de deux familles de Brive-La-Gaillarde, au sein du lycée et du collège que ces deux gamines fréquentent, au sein de leur bande d’amis, pendant près de cinq ans ? Le film ne donne aucune réponse à ce mystère, le cinéaste parvenant miraculeusement à s’effacer et à faire oublier la présence de la caméra pendant ces années qui, pour des adolescentes, ressemblent à l'éternité. 

On imagine l’immense travail fourni par le réalisateur pour préparer ses personnages à ces cinq années de vie (presque commune). La caméra s’installe dans les parcs, dans les voitures, au bord des rivières, dans les maisons ou les écoles, auprès de tous ces gens d’une authentique beauté. Pourtant, elle semble se confondre avec le paysage. Pas un regard ne la croise. Aucune réponse aux éventuelles interrogations du réalisateur. Aucune mise en scène non plus, juste le saisissement de scènes de la vie quotidienne où les jeunes filles se construisent, pendant que leurs parents luttent pour les cadrer et leur offrir le meilleur. Lifshitz a choisi deux familles totalement opposées. La première appartient à la bourgeoisie corrézienne, plutôt bien installée, attentive à la réussite scolaire des enfants ; la seconde appartient à un milieu social plus défavorisé : on comprend qu’Anaïs a été placée en famille d’accueil, les parents font ce qu’ils peuvent et les malheurs s’abattent sur eux, qu’il s’agisse de problèmes de santé ou d’incendie dramatique. Pourtant, les deux jeunes filles partagent une amitié indéfectible, quasi fraternelle, que l’avenir, sans doute, ravagé par le déterminisme social, mettra en berne. Peu importe. Plus que deux classes sociales qui s’opposent, Les adolescentes raconte l’enfance dans ce qu’elle a de merveilleux et d’insupportable à la fois.

Il sera difficile pour le spectateur de ne pas s’identifier aux personnages qui traversent ce récit social. Les adolescents se retrouveront dans ces deux portraits touchants, hantés par l’angoisse des examens, les différends avec les parents, et surtout les premières amours que personne n’oublie jamais. Les adultes se reconnaîtront dans la bataille qu’ils mènent avec leurs propres enfants, pour qu’ils prennent la mesure de l’importance de l’école dans leur avenir ou lorsqu’il s’agit d’accepter qu’ils ont grandi et doivent quitter le cocon familial. Sébastien Lifshitz ne se moque jamais de ses personnages. Au contraire, on perçoit la force éthique de sa caméra qui ne juge jamais. L’empathie profonde du réalisateur pour ces deux jeunes filles leur permet de donner à voir plus qu’elles ne sont en vérité. On perçoit le doute, la pudeur, la peur, la joie, bref tous ces sentiments merveilleux qui construisent les adultes de demain. La force du film s’incarne dans l’immense générosité qui transparaît dans le regard de la caméra.

Sébastien Lifshitz filme le cycle des saisons. La lumière de l’été succède aux montagnes enneigées, avec entre les deux, les mois d’école, les colères contre les devoirs scolaires, les disputes avec les parents, et les moments de légèreté et de douceur qui font aussi la vie. On tremble pour Anaïs qui semble pourtant si forte face à la fragilité de sa mère. On s’émeut devant les larmes d’Emma qui bataille contre la solitude et l’épuisement. Et on regarde ces parents qui vieillissent, doutent, mais continuent de croire en l’avenir de leurs enfants. Les adolescentes rend hommage à toutes les jeunesses, celles-là même qui feront la France de demain. Et soudain, comme par enchantement, le film transforme peut-être le sentiment vieillot que le pire est toujours à venir en une forme d’espoir inépuisable où tout semble possible."