29 NOVEMBRE 2021

Basse Saison - Entretien avec Laurent Herbiet et Iris Wong

D’abord assistant réalisateur, notamment proche collaborateur d’Alain Resnais, Laurent Herbiet a réalisé le long-métrage "Mon colonel" (2006) avec Olivier Gourmet et plusieurs unitaires et séries ("Malaterra", "Glacé") pour la télévision. Il a écrit "Basse saison" avec Iris Wong, collaboratrice de longue date sur la plupart de ses projets et également romancière ("Invulnérable").

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La première chose qui frappe dans "Basse saison", c’est l’originalité de son décor. Est-ce que vous êtes partis de là ?

Laurent Herbiet : Oui ! Nous avions envie de tourner un film à la Grande-Motte en hiver. Cette station balnéaire, construite à partir de rien dans les années 70 à destination des classes moyennes, est un exemple d’architecture utopique unique en France. En basse saison, la population diminue considérablement, on n’y croise quasiment plus que des retraités. Le lieu dégage ainsi une atmosphère très particulière. J’ai voulu le filmer en cinémascope, avec des cadres stylisés, pour en faire un véritable personnage. C’est un décor hors-normes, qui se voudrait idéal mais qui en réalité enferme les protagonistes.

Iris Wong : À partir de ce décor on a imaginé l’histoire, celle d’un couple de quinquagénaires qui se retrouveraient contraints d’habiter là, épuisés financièrement et moralement. C’était plutôt un point de départ de film noir, mais on s’est progressivement laissés emporter par nos personnages, et c’est devenu une comédie. Un ton propre à cette histoire, un mélange de polar burlesque et de comédie de remariage, s’est finalement imposé.

 

En effet vous faîtes appel à un humour loufoque, parfois absurde…

Laurent Herbiet : Nous voulions développer une situation a priori sombre sur un ton drolatique. En tant que réalisateur c’était la première fois que je m’essayais à la comédie, et je ne me suis rien interdit. Jusqu’à des touches surréalistes, comme les apparitions des « personnages » du fauteuil roulant ou du diablotin gonflable…

Iris Wong : Basse saison baigne dans une ambiance à la fois irréelle et jazzy, inspirée du style de comédie loufoque américaine typique des années 30 et 40 où la crise du couple est un sujet inépuisable. On a cherché à régler les chamailleries et les disputes de Carole et Richard sur le rythme de la screwball comedy.

 

Comment avez-vous choisi les comédiens ?

Laurent Herbiet : Ce sont des acteurs qu’on voit rarement dans des comédies. Sur ce terrain-là aussi, nous avions envie de déjouer les attentes. Je n’avais jamais travaillé avec Emmanuelle Devos mais nous avons écrit le rôle en pensant à elle, à sa musique particulière. Elle sait, entre autres, créer des ruptures de ton qui sont irrésistibles. Éric Caravaca a joué dans presque tous mes films, nous nous connaissons bien, j’apprécie sa drôlerie dans la vie et j’étais certain qu’il se fondrait aisément dans cet univers. Quant à Simon Abkarian, nous avions eu plaisir à tourner ensemble il y a quelques années et cherchions l’occasion de se retrouver. Il incarne de manière touchante l’élément perturbateur de cette histoire : un Anthony extraverti, rouleur de mécaniques et sensible à la fois. Avec Iris, nous avons eu ce trio très tôt en tête, ce qui nous a beaucoup aidés à caractériser les personnages. À la fin de « Basse saison », la comédie laisse place à la mélancolie.

Iris Wong : Pour moi, la mélancolie est présente dès le départ, tapie dans l’histoire de ce couple. Carole et Richard vivent ensemble depuis longtemps et sont arrivés au bout de quelque chose. Cette situation entraîne chez Carole des sentiments contraires, à la fois une profonde angoisse et une soif d’aventure. Elle est fragile, elle se cherche, tandis que Richard est plus posé dans son désir d’obtenir réparation après l’arnaque qu’ils ont subie. C’est un sentimental. Il se laisse embarquer par amour pour sa femme, et par amitié pour Anthony. Et effectivement, à la fin, en même temps qu’ils se retrouvent, leur drame se dévoile, et ce qui semblait léger devient plus profond. C’est toujours intéressant de ne pas donner toutes les clés tout de suite au spectateur !

 

Propos recueillis par Jonathan Lennuyeux-Comnène