28 FÉVRIER 2011

"Ca a été monsieur le réalisateur ?"

C'est par ces mots que chaque soir, après le tournage, ce vieux briscard de Jean-Claude Brialy se séparait de Romuald Beugnon, le tout jeune réalisateur de "Vous êtes de la police ?". L'homme qui avait commencé sa carrière en se confiant à de parfaits inconnus comme Claude Chabrol la finissait de même. Ce fut son dernier film. Romuald Beugnon raconte Brialy, Castel, Philippe Nahon, Micheline Presles, Yolande Moreau...

Votre premier film est aussi le dernier de Jean-Pierre Cassel et de Jean-Claude Brialy. C’est à la fois émouvant de les voir dans leur dernier rôle à l’écran et intéressant de rappeler qu’ils étaient toujours prêts à faire confiance à de jeunes réalisateurs. Pouvez-vous nous parler d’eux?Romuald Beugnon : Jean-Pierre Cassel et Jean Claude Brialy étaient tous deux des gentlemen. Quand Jean-Pierre Cassel a reçu le scénario, il a tout de suite demandé à me rencontrer. Evidemment, en arrivant chez lui, j’étais assez impressionné, mais il a su très vite me mettre à l’aise par sa courtoisie et sa gentillesse. Le lendemain, il m’a téléphoné : il avait vu Béa, mon court-métrage, et tenait à me féliciter. Jean-Pierre était très concentré sur le tournage. Il restait souvent silencieux entre les prises, mais dès qu’on installait un nouveau plan, il se levait pour répéter des pas de claquettes. Il a essayé de m’apprendre quelque pas mais je ne suis pas très doué ! Les rares jours de tournage où Jean-Pierre n’était pas avec nous, il jouait son spectacle Jean-Pierre Cassel chante et danse Gainsbourg. Jean-Claude Brialy m’a également fait confiance sans hésiter. Nous nous sommes rencontrer chez lui, dans son bureau des Bouffes Parisiens. Nous avons discuté du scénario, du personnage, de ma vision du film, et de bien d’autres choses. Au bout d’un moment, je lui ai quand même posé la question qui me brûlait les lèvres : voulait-il, oui ou non, jouer dans le film ? Il a ri, puis m’a expliqué que s’il m’avait fait venir, c’est qu’il avait de toute façon prévu d’accepter le rôle. Il avait commencé sa carrière en faisant confiance à de jeunes réalisateurs inconnus comme Claude Chabrol, et il n’avait aucune intention de s’arrêter en si bon chemin ! Jean-Claude avait une idée très précise de l’allure du personnage, de sa façon de parler, de son costume. Seul point de désaccord avec moi : la cravate. Jean-Claude ne voulait pas, à l’écran comme à la ville, porter autre chose qu’une longue écharpe en soie. J’ai finalement réussi à le convaincre. D’ailleurs, un soir où il ne tournait pas avec nous, je l’ai vu à la télévision avec une cravate qui lui allait très bien. A la fin de chaque prise, Jean-Claude se tournait vers moi et me demandait « Ça a été monsieur le réalisateur ? ». Il y avait dans cette question rituelle un mélange de respect et d’ironie qui m’amusait énormément.

Simon se fait aider dans son enquête par Francky, le kleptomane de la maison de retraite. L’association des opposés (le flic et le voyou) fonctionne parfaitement dans votre film et donne l’occasion à Philippe Nahon d’interpréter pour la première fois à l’écran un rôle plus léger que ceux qu’il incarne habituellement. Sa prestation est formidable et vient d’ailleurs d’être récompensée par le Prix d’Interprétation au Festival de Saint-Jean de Luz. Vous aviez depuis le départ pensé à lui pour ce rôle?J’ai tout de suite pensé à Philippe Nahon pour le rôle, je dirais même que le rôle a été écrit pour lui. Philippe a beaucoup joué des rôles de durs, de truands, des rôles très dramatiques. En fait, c’était la première fois qu’on lui proposait un personnage de comédie. Il a littéralement sauté sur l’occasion. J’aime beaucoup la paire qu’il forme avec Jean-Pierre Cassel. Ils étaient vraiment amis et je crois que ça se voit dans le film. Ils forment bien plus qu’un duo Flic/Voyou. Même s’ils n’avaient pas vingt ans à l’époque, les septuagénaires d’aujourd’hui ont connu les bouleversements des années soixante, soixante-dix. Certains ont été marqués par cette époque. Aujourd’hui dans les maison de retraite on écoute plus de musique yéyé que de musette. Un marginal comme Francky, peut arriver en maison de retraite relativement « jeune » ; il avait 20 ans à la grande époque du rock’n roll.

La résidente la plus pittoresque est sans doute Jane Latour-Jackson, alias Micheline Presle. Ses tenues, sa façon de s’exprimer, son porte-cigarettes, le décor de sa chambre: tout participe à en faire une femme fatale beaucoup plus qu’une pensionnaire de maison de retraite...Tout le principe du film était de jouer avec les codes du film noir et Micheline Presle est notre femme fatale. Elle était parfaite pour ce rôle car elle seule possède ce mélange indéfinissable de charme, de distinction et de folie douce. Elle illumine le film de sa présence. Micheline avait une idée très précise de l’apparence de son personnage, c’est elle qui m’a proposé la coupe de cheveux, les vêtements, le maquillage. En ce qui concerne le décor de la chambre, consciemment ou non, je me suis inspiré du style de son appartement. Il y a dans les maisons de retraite des gens issus de tous les milieux sociaux, qui ont eu toutes sortes de vies. Le personnage de Jane, avec toute sa fantaisie, est là pour nous le rappeler.

Pour compléter cette galerie de portraits, il vous faut bien sûr évoquer le personnel de cette maison de retraite. Sa directrice, Marilyne Canto, mais aussi ses deux aides-soignantes : Yolande Moreau et Firmine Richard...Il m’arrivait souvent de croiser Marilyne Canto dans les festivals de courts métrages où nous présentions chacun un film. Un jour, l’air de rien, je lui ai parlé de Vous êtes de la police?. Pour plaisanter, elle m’a demandé si je n’avais pas un rôle pour elle. Justement j’en avais un. J’aime beaucoup la manière dont Marilyne a rajeuni le personnage de la directrice. Elle en a fait une femme moderne et énergique avec une pointe de désinvolture déstabilisante. On ne sait jamais si elle va se mettre à sourire ou à crier. Par ailleurs, c’est pour moi le personnage qui apporte le plus de hors-champ dans le huis clos. C’est la seule qui est en contact avec le monde extérieur : la police, la presse. Firmine Richard, quant à elle, joue une infirmière très autoritaire et réaliste. Elle a très bien saisi le point de vue de la soignante qui veut faire les choses comme il faut, quitte à suivre le règlement à la lettre. C’est une comédienne qui a beaucoup d’énergie et de présence. Par opposition, Yolande Moreau joue une infirmière maternelle et infantilisante. On dirait une petite fille qui joue avec des poupées grandeur nature. Pendant tout le film, je l’ai filmée en contre-plongée comme une figure maternelle à la fois rassurante et oppressante. Yolande a beaucoup travaillé sur son personnage, nous avons réécrit ensemble la plupart de ses répliques. Mais l’essentiel de son jeu est ailleurs, dans ses regards, dans la modulation de sa voix, dans ses brusques changements d’attitude. Sur le plateau Yolande Moreau a retrouvé Sylviane Ramboux, qui, à 92 ans, joue le rôle de la doyenne. Sylviane a été le premier professeur de théâtre de Yolande, quand elle avait 15 ans.

Vous avez également tourné avec des acteurs non professionnels. Est-ce pour donner plus d’authenticité et de crédibilité à la pension Les Aravelles?L’aspect documentaire, ou plutôt documenté, est très important pour moi. Au cours de l’écriture et de la préparation du film, j’ai visité beaucoup de maisons de retraite, j’ai même tourné un documentaire institutionnel en 2006 pour l’une d’entre elle. Cela m’a permis de me familiariser avec l’ambiance du lieu, avec ses pratiques mais aussi avec les visages des résidents. Ces visages, que l’on n’a pas l’habitude de regarder, je voulais les montrer, dans toute la beauté de leurs rides. Beaucoup de figurants sont venus sur petite annonce et je leur ai fait passer à tous une audition. Catherine Belkacem, qui joue, aux cotés de Thérèse Roussel, une des deux « mamies » qui se disputent pour une histoire de vernis à ongle, étaient simplement venues pour faire de la figuration. Au bout de 30 secondes d’improvisation endiablée, j’ai su que j’allais lui proposer un vrai rôle. Il y a aussi beaucoup de vrais résidents de maison de retraite. Notamment lors des grandes scènes de repas. Venir sur le tournage était pour eux une sorte de voyage organisé. Ils nous prêtaient leur image et nous leur offrions le repas et un « spectacle de karaoké ». J’avais vraiment peur qu’ils s’ennuient sur le plateau mais en fait, beaucoup m’ont remercié pour l’après midi qu’ils avaient passé. Il faut dire que Jean-Pierre, Jean-Claude et Micheline se sont prêtés de bonne grâce au jeu des photos.

Avec votre court-métrage Aspirez!, vous aviez déjà tourné dans une maison de retraite. Ces établissements sont pourtant assez rarement montrés au cinéma. Alors, pourquoi ce choix?Aspirez! était un très court documentaire sur la distribution des cigarettes dans une maison de retraite. On y voyait les résidents se lever, à l’appel d’une infirmière, et faire la queue autour d’une table. L’infirmière donnait à chacun une cigarette qu’elle allumait directement. Le film se terminait par une série de portraits qui étaient, de mon point de vue, filmés avec beaucoup de tendresse. Pourtant, quand je montrais le film, ces visages étaient jugés inquiétants, déprimants, voire effrayants. J’ai alors compris que je ne pourrais pas faire partager mon point de vue sur les personnes âgées en institution, sans donner au spectateur le temps de s’habituer à elles. D’où le choix de la fiction et même de la fiction de genre.

Tourner la totalité de votre film dans un lieu unique était-il pour vous l’occasion de montrer un microcosme en particulier?Je suis par ailleurs magicien. En magie, nous utilisons ce que l’on appelle la misdirection : un grand mouvement cache le petit geste où les choses se passent. Le film fonctionne sur le même principe : le grand mouvement de la comédie permet de faire passer ce que j’avais envie de raconter sur l’institutionnalisation. Il y a beaucoup à dire sur les maisons de retraite, sur l’infantilisation, la médicamentation excessive, etc. Cependant Vous êtes de la police? n’est pas une charge contre les maisons de retraite, je n’ai d’ailleurs pas d’alternative à proposer ; le maintien à domicile de chacun me semble utopique. Ce qui m’intéresse c’est d’entrer dans un microcosme. Je voudrais que l’histoire du film ait une portée universelle, au-delà de la maison de retraite, et qu’elle montre comment l’imagination et la fantaisie permettent d’échapper à la dureté du quotidien.

Comment êtes-vous parvenu à donner à votre film, mettant en scène des pensionnaires d’une maison de retraite, le rythme léger et soutenu d’une comédie?Le scénario y est pour beaucoup, nous n’avons pas voulu donner à nos personnages des réactions de « vieux », du moins tels qu’on les voit habituellement dans les fictions. Nous voulions qu’il y ait de la passion, de la rage, des rivalités, et, surtout, de la fantaisie. Au tournage, nous nous sommes efforcés de dynamiser au maximum les situations. Je voulais une ambiance jazzy avec un soliste, Jean-Pierre Cassel et toute une série d’instrumentistes qui improvisent autour de lui.

Le spectateur vit avec l’inspecteur Sablonnet le déroulement de l’enquête. Était-ce pour soutenir le suspense jusqu’à la fin ?Nous avons beaucoup réfléchi à la question du point de vue au cours de l’écriture du scénario. Nous nous sommes décidés à adopter le point de vue unique de Simon pour deux raisons. Tout d’abord, cela permet de respecter la forme classique du genre policier : le spectateur en est exactement au même point que le personnage et peut résoudre l’énigme en même temps que lui. Par ailleurs, nous ne quittons jamais Simon. Il nous sert de guide à travers la maison de retraite. Nous y entrons en même temps que lui, et découvrons le cadre de vie, les différentes règles à suivre avec lui. Ce qui compte ici, finalement, c’est le parcours de Simon.