06 JUIN 2012

Carné et Debussy : une musique nouvelle

Edward Baron Turk, auteur d'un remarquable ouvrage sur l'oeuvre de Marcel Carné entre 1929 et 1945, s'appuie sur un article de Michelangelo Antonioni, paru en 1948 dans la revue Bianco e Nero, pour souligner la modernité du cinéaste au sein de l'industrie cinématographique française à la veille de la seconde guerre mondiale... Extrait d'un livre passionnant.

Media

" ... Antonioni comparera Le Jour se lève à l'opéra impressionniste Pelleas et Mélisande. Cette comparaison mérite d'être dévelopée. On peut avancer que Carné est à l' "âge d'or" du cinéma français ce que Debussy est à la musique française du début du XXe siècle : un maître de l'atmosphère. Les deux artistes ont cherché à apporter à leur art respectif une plus grande subtilité et une plus grande économie de moyens. Debussy aspire à une musique dramatique qui ne soit pas "liée à une reproduction plus ou moins exacte de la nature, mais évoque (...) les correspondances mystérieuses entre la nature et l'imagination", un programme en accord avec le projet cinématographique de Carné.

Plus spécifiquement, Le Jour se lève et Pelleas et Mélisande proposent des mondes symboliques, oniriques, peuplés de caractères fantomatiques et régis par un destin irrationnel (...) les interludes instrumentaux chez Debussy qui vont et viennent avec fluidité, modulant les délicats changements d'atmosphère d'une scène à l'autre, ont leur équivalent dans les volets systématiques qui relient entre elles les scènes de chaque falsh-back et les fondus enchaînés sonores et visuels entre flash-back et présent. Surtout, la richesse et la signification aussi bien de l'opéra que du film, découlent de l'intervention répétée d'objets quotidiens qui suggèrent une signification au-delà de la lettre du texte... (...)

Le symbole le plus saisissant de l'histoire est sans doute l'étroit immeuble de six étages dans ce qui est censé être un quartirer ouvrier d'Amiens. A mesure que le film avance, cet immeuble devient l'objectivation de la condition de François  isolé, délabré, refuge précaire contre la loi et la société. Les plans en plo,gée verticale dans l'escalier -un labyrinthe de barreaux et de rampes- semblent focntionner comme une extériorisaton concrète de la confusion de François et du caractère inéluctable des événements qu'il vient de subir..."

Edward Baron Turk,

extrait de l'ouvrage "Marcel Carné et l'âge d'or du cinéma français 1929-1945"  (Ed. L'harmattan).