08 JUIN 2012

Catherine Deneuve : " En travaillant avec Bunuel"

L'interprète de Belle de jour retrouve Bunuel pour une adaptation du célèbre Tristana de Perez Galdos, cette fois tourné en Espagne. Dans le numéro de France-soir du 2 mai 1970, l'actrice revient sur cette nouvelle collaboration...

‘‘Bunuel voulait absolument tourner Tristana à Tolède car c’est une ville où il a séjourné quand il avait vingt ans, où il s’est beaucoup amusé avec ses amis, une ville ancienne, fortifiée, provinciale et oppressante, une ville qui est pour lui, pleine de souvenirs. Les autorités espagnoles ont enfin donné leur accord et Bunuel s’est installé là-bas pour préparer le film.

Tristana est une orpheline provinciale des années 1920 qui vient vivre à Tolède dans la maison de son tuteur, et le film raconte les relations fortes et étranges qui vont se nouer entre ces deux personnages. Bunuel m’a demandé, pour interpréter Tristana, d’adopter une coiffure stricte, châtain foncé, il m’a laissé carte blanche pour l’habillement qui devait être modeste. Je n’étais pas au bout de mes surprises, car lorsque je suis arrivée à l’aéroport de Madrid Bunuel a commencé par me conduire dans un atelier ou j’ai essayé “ma” jambe de bois, oui une superbe jambe de bois, fabriquée sur mesure, que Tristana, par la force des choses, porte dans une partie de cette histoire qui reste pourtant d’un bout à l’autre une histoire d’amour !

Le tournage de Tristana a été très euphorique, malgré le côté souvent très dramatique du scénario, probablement parce que Bunuel est toujours plus heureux lorsqu’il tourne dans son pays, également parce que le grand succès de Belle de Jour I’a rajeuni et lui a redonné une plus grande confiance dans son travail, et enfin parce que son optique, même lorsqu’il filme une histoire dure, reste celle de l’humour noir. Bunuel est volontiers blagueur, malicieux et très rieur. Grâce à lui on s’amusait beaucoup sur le plateau.

Bunuel, que tout le monde en Espagne appelle Don Luis, est d’une pudeur extrême qui le rend très impatient et désireux d’enregistrer les scènes le plus vite possible. Il souffre réellement d’entendre plusieurs fois le même texte, de voir plusieurs fois les mêmes gestes, c’est pourquoi il demande très peu de répétitions, s’efforce de ne tourner qu’une seule fois chaque plan afin de passer au suivant. Il parle dans ses films de choses très intimes, en même temps il éprouve une espèce de honte à les filmer, mais il sent qu’il doit le faire.

Bunuel est retourné vivre dans sa maison de Mexico en disant que Tristana était son dernier film, qu’il se retirait et ne voulait plus accepter aucune proposition mais comme il a déjà dit cela après Belle de Jour et après La Voie Lactée, je pense qu’on apprendra bientôt que Luis Bunuel prépare un nouveau film.”