15 FÉVRIER 2021

Chambres d’attente

Des personnes âgées isolées au-delà du supportable, du personnel soignant en détresse : le documentaire "Vieillir enfermés" nous immerge dans un Ehpad parisien frappé par le Covid-19. Entretien avec son réalisateur, Éric Guéret.

Media

Quand avez-vous commencé à tourner ce film ?

Éric Guéret : À la mi-mars 2020, lorsque l’on ne connaissait pas encore très bien le virus, et que l’on a compris que les Ehpad allaient subir les plus grandes difficultés. Celui dans lequel j’ai tourné * comptait 120 résidents : un tiers d’entre eux ont été contaminés par le Covid, 12 en sont morts... Une grande partie de l’équipe soignante, formidable de courage et de résilience, demeure traumatisée par ce qu’elle a vécu.

 

Pourquoi avez-vous choisi de vous rendre dans un Ehpad ?

Éric Guéret : Je voyais en ce lieu un point d’observation de la crise sanitaire. Mais très rapidement, j’ai eu envie de me dégager de ce parti pris pour filmer, durant trois mois, ce que signifie vieillir dans un tel établissement. Vivre le carnage sanitaire fut très éprouvant, mais découvrir le quotidien de ces résidents se révéla encore plus violent, car si la crise est passagère, les conditions de vie de nos anciens, elles, sont durables.

 

On a l’impression que vous filmez une prison...

Éric Guéret : Effectivement, cette crise isole les résidents, mais les personnes âgées témoignent aussi du fait qu’elles sont enfermées toute l’année. Elles vivent dans un état de confinement permanent.

 

Votre film pose la question du sens de cette fin de vie, alors que les résidents souffrent de solitude...

Éric Guéret : C’est l’un des aspects fondamentaux du film. Sans même prendre en compte le Covid, je voulais poser cette question : quel sens y a-t-il à vieillir avec un écran de télévision comme seule fenêtre ouverte sur le monde ? Je n’ai pas la réponse. Les résidents, oui. Quasiment 100 % d’entre eux sont sous antidépresseurs et s’endorment avec des somnifères. Je termine ce documentaire par une séquence où l’on voit une dame jouer au solitaire dans sa chambre, et qui prononce ces mots : “Mon seul projet, c’est d’attendre.” En réalité, il s’agit d’un film sur la solitude du grand âge.

 

Vous mettez également en avant le manque flagrant de moyens...

Éric Guéret : Il n’y a pas assez de budget pour les kinés, les masseurs, les socio-esthéticiennes, pour tout ce qui relève de la qualité de la vie. Il manque des bras pour promener les résidents, les faire sortir. On les soigne correctement, on prend leur tension, on les nourrit, mais on néglige tout le reste. Malheureusement, cela coûte moins cher en ressources humaines de les mettre sous antidépresseurs...

 

 

Propos recueillis par Raphaël Badache

 

* L’Ehpad Furtado-Heine, dans le 14e arrondissement de Paris.