21 DÉCEMBRE 2020

Chapelle Sixtine - Michel-Ange et le doute

Peintes par Michel-Ange, les fresques de la chapelle Sixtine font partie des chefs-d’œuvre du Vatican. Intervenant dans le documentaire que Marc Jampolsky consacre à la cité papale, Giovanni Careri* les décrypte du point de vue de l’anthropologie.

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Comment trouver dans ces fresques tellement auscultées des éléments nouveaux d’interprétation ?

Giovanni Careri : Les différentes fresques de la chapelle Sixtine racontent l’histoire du christianisme, de la genèse jusqu’au Jugement dernier. Tandis que les visiteurs et les historiens d’art se concentrent sur la dimension esthétique des œuvres peintes par Michel-Ange, il m’a semblé intéressant d’interroger le sens des personnages représentés par l’artiste, notamment les figures des ancêtres du Christ, présents dans les lunettes et les cintres de la voûte. Il y a là des vieillards mélancoliques, une femme enceinte, d’autres qui s’occupent de leurs enfants. On les a parfois considérés comme des anonymes témoignant de la vie quotidienne de l’époque. Mais ils présentent un aspect important du rapport entre christianisme et judaïsme.

 

Que représentent ces personnages ?

Giovanni Careri : Les juifs qui ont vécu après l’Incarnation sans se convertir et qui se tiennent en marge de la société chrétienne. Leur attitude de prostration, d’intense fatigue, traduit leur incrédulité par rapport à la révélation de la divinité du Christ. Les travaux de restauration, menés dans les années 1980, ont permis de découvrir des détails qui s’étaient effacés au fil du temps, tels que les brassards et les cercles jaunes imposés alors aux juifs comme signes infâmants d’identification. Ils ont fait aussi resurgir les ombres qui accompagnent leur représentation, et à travers elles, leur dimension charnelle. Ils incarnent le temps domestique par opposition au temps héroïque enclenché par l’arrivée du messie. La figure de Joseph, qui se convertit tardivement, est une sorte d’autoportrait de Michel-Ange, qui, dans ses poèmes, a toujours fait part de sa mélancolique difficulté à être un bon chrétien. Dans cette fresque à la gloire du christianisme, il introduit des éléments de tiédeur et de doute, qui témoignent de forces contraires à l’accomplissement du temps de l’histoire chrétienne.

 

Comment ses contemporains ont-ils accueilli sa fresque, Le Jugement dernier ?

Giovanni Careri : Les théologiens du XVIe siècle en ont beaucoup débattu, notamment parce que Michel-Ange y a représenté des corps scandaleusement nus, des scènes qui auraient eu, selon certains, leur place dans une chambre à coucher plutôt que dans une église ! Michel-Ange a pris beaucoup de liberté dans la conception de la fresque, il a été le premier artiste à acquérir un tel degré d’autonomie. Il était du reste décrit comme “il terribile”, c’est-à-dire l’homme qui impose à la fois la crainte et le respect.

 

Propos recueillis par Maria Angelo

 

* Giovanni Careri dirige le Centre d’histoire et de théorie des arts de l’École des hautes études en sciences sociales.