Chung Mong-hong : la révolution intérieure du réalisateur de pub au moment de tourner un long-métrage
"Il faut oublier tout son savoir-faire sur l’image pour s’attacher aux personnages et à l’histoire. Si vous considérez un film de 100 minutes du même œil qu’un clip de 30 secondes, vous êtes sûr d’échouer" confie le réalisateur de Parking qui a attendu quatorze ans avant de tourner son premier long métrage. Sans pour autant tourner le dos aux clips publicitaires ("C’est du plaisir instantané") mais en vérifiant bien que ce sont là deux choses différentes.
Vous êtes sorti major de l’université Chiao Tung comme ingénieur en informatique, et avez également une maîtrise de réalisation de l’Art Institute de Chicago. Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir réalisateur?
Chung Mong-hong : J’ai vécu à la campagne jusqu’au lycée. À cette époque, aller au cinéma c’était le divertissement suprême. J’y ai vu des tonnes de Bruce Lee et de Michael Hu. J’aimais beaucoup les James Bond car pour nous, à 12 ans, c’était comme voir un film pornographique (rires). Au lycée j’ai eu l’occasion de voir Furyo de Nagisa Oshima. Quand j’ai vu la scène où David Bowie embrasse Ryuichi Sakamoto je me suis dit : "Oh oh, les films peuvent vraiment montrer de drôles de choses, des choses que je ne comprends pas".
Vous êtes revenu de Chicago en 1994. Pourquoi avoir attendu quatorze ans avant de réaliser votre premier long métrage?
Les réalisateurs de la génération des sixties sont nés sous une mauvaise étoile. On était à l’école quand la "nouvelle vague taïwanaise" est apparue au début des années 1980. Nous avions des envies, des ambitions, des idéaux en ce qui concerne les films. On est parti à l’étranger pour étudier et quand on est revenu début 1990, le cinéma taïwanais était en train de s’effondrer. Des réalisateurs vendaient leur maison et empruntaient de l’argent pour faire des films que personne ne voulait voir. J’ai choisi de ne pas suivre cette voie là.
Pourquoi avez-vous alors choisi de faire votre entrée dans ce "monde" du cinéma avec le documentaire Doctor. Traiter d’un tel sujet (la mort, la maladie, le suicide) résonne comme un défi, surtout considérant votre inexpérience dans le domaine du documentaire?
Pour moi, c’était comme prêter serment et trancher la tête d’un poulet dans un temple pour montrer ma détermination (rires). Le documentaire c’est l’opposé de la publicité. En s’essayant à un genre qui m’était étranger et totalement différent de ce que je connaissais le mieux; et le faire correctement, j’ai pu me dire : "Je suis capable de réaliser des films et j’ai d’autres atouts en main que celui de la technique, pour réaliser un film".
Avez-vous conscience de faire une différence entre la réalisation d’un film et celle d’une publicité?
Conscience n’est pas le mot. Connaissez-vous des films réalisés par des réalisateurs de pub qui ont marché ? Ça me fait mal de voir mes collègues se planter. Le problème est que si vous considérez un film de 100 minutes du même œil qu’un clip de 30 secondes, vous êtes sûr d’échouer. La question la plus importante à se poser est : que voulez-vous montrer aux spectateurs ? Un réalisateur aurait tort de se cantonner aux effets visuels en pensant “c’est super” et de répéter cela sur 90 minutes. En tant que réalisateur de pub, il faut oublier tout son savoir-faire sur l’image pour s’attacher aux personnages et à l’histoire.
C’est facile de s’affranchir du style "pub”?
Tout à fait. On a l’habitude de voir les choses sous un certain angle. Il faut arrêter de regarder et voir ce qui se passe dans l’histoire. Un film n’est pas fait d’angles de prises de vues. Il est fait de personnages, leurs interrogations et leurs façons de vivre ou survivre dans un environnement.
Avez-vous réadapté vos personnages aux acteurs durant le tournage ?
Absolument. Quand le scénario est terminé je le met de côté et les dialogues sont modifiés chaque jour pendant le tournage. Car les personnages émergent peu à peu du brouillard du scénario et se précisent au quotidien sur le plateau. Quand je connais bien les acteurs je peux m’approprier leurs habitudes, leur façon d’être, leur humour et intégrer cela dans les personnages qu’ils interprètent. C’est pour cela je pense, que beaucoup de gens disent que les acteurs du film semblent être sur la même longueur d’onde, même si leur vécu professionnel est très différent.
Comment travaillez vous avec vos acteurs?
Je déteste les répétitions. Je viens sur le plateau avec des dialogues différents chaque jour. Comme cela les acteurs n’ont pas la possibilité d’apprendre un texte. Ils sont ainsi plus disponibles pour improviser. Certains acteurs jouent exactement de la même façon sur 10 prises. Je ne souhaite pas cela pour mon film.
Il me semble que vous faites quelques références au cinéma chinois dans Parking…
Vraiment ?
Le personnage du barbier interprété par Jack Kao me rappelle celui qu’il avait dans God Man Dog de Singing Chen. Le tailleur Hong-kongais interprété par Chapman To est assez "wangkarwaiesque".
Certains styles musicaux, visuels, narratifs sont en effet propres à Wang. Si mon style vous parait peut être proche du sien, vous pouvez appeler cela un hommage. Si un jour je parlais des films taïwanais dans mon travail, je ferais sans doute une satire. Certains films taïwanais me semblent tronqués, incomplets. Vous pouvez raconter des histoires de gens traumatisés ou déprimés, mais la dignité ne doit pas être oubliée. Je répugne à voir des films montrant uniquement combien les personnages sont misérables. Regardez les films d’Ozu par exemple. L’homme est veuf, sa fille s’est mariée et part. Il se retrouve seul pour le reste de son existence. Et chez Kaurismaki ? Les personnages sont misérables mais ils font avec et vivent dignement.
Est-ce aussi pour cela que vous gardez une certaine distance par rapport à votre sujet dans Parking et Doctor?
Plutôt que d’essayer d’attirer le spectateur dans l’histoire, j’aime garder une distance entre les deux. Pour moi cette distance est un des grands attraits du cinéma.
Parking a un style visuel assez fort. En tant que directeur photo, quelle a été votre inspiration?
Vous connaissez les peintures de Edward Hopper? La façon dont il joue de l’ombre et de la lumière. Il peint ses personnages selon leur relation avec l’environnement. Les villes peintes par Hopper sont assez désertes et désolées. J’ai voulu donner à Taipei ce même aspect noir.
C’était facile d’être à la fois réalisateur et directeur photo?
C’est plus facile dans le sens où je n’ai pas à communiquer avec une autre personne. Au début on avait engagé un directeur photo. Mais il est parti très vite, sans doute suis-je insupportable (rires). J’ai commencé à faire la photo sur toutes les pubs que j’ai réalisé, après un conseil que m’ont donné Hou Hsiao-hsien et son directeur photo, sur le tournage d’une pub pour une voiture en 2000.
Quels sont vos projets?
Faire des pubs et des longs métrages. À la différence des films, faire une pub ce n’est pas faire une œuvre d’art. C’est du plaisir instantané, de la satisfaction, et c’est distrayant.
Interview réalisée par Ho Yi pour le Taipei Times - décembre 2008.