28 FÉVRIER 2011

"Dans notre famille, tout passe par la boxe"

La réalisatrice évoque le tournage de son premier long-métrage comme une épreuve sportive, à l'image de sa propre vie : "Pour la majorité des extérieurs, le club de boxe et le gymnase, raconte-t-elle, le tournage s’est déroulé dans mon fief : Vitry, Ivry-sur-Seine, Thiais. On habite tous là depuis quatre générations ! Toute ma famille fait de la figuration dans le film. Les autres figurants, je les dois à ma mère qui a fait venir tout son carnet d’adresse de boxe."

Comment est né le projet de Dans les cordes ?Magaly Richard-Serrano : De mon envie de parler d’une famille où tout passe par la boxe : l’éducation, le jeu, les relations de rivalité…les deux héroïnes, Angie envahie par le doute et Sandra, dévorée d’ambition, sont deux facettes de ma personnalité. Dans ma famille, il y avait un grand champion qui était notre « star » : mon oncle, qui a été champion du monde de boxe française et de kickboxing. C’était un enfant terrible, génialement doué, et il avait un frère qui, lui, était plus besogneux. Je trouvais ça injuste… ainsi le travail n’explique pas tout…il y a une part de magie… c’est angoissant. Ce sont ces sentiments qui m’ont inspiré la trame de Dans les cordes. J’avais envie de parler de ce milieu-là, de ce sport amateur composé de gens ultra-passionnés, et où cette cristallisation dans une passion révèle l’essence de chaque personne. Dans ce milieu, le rapport à la violence est différent, le rapport à la souffrance physique aussi. Chez moi, être malade ça n’existe pas ! Avec ma mère, on n’a pas le droit de se plaindre. Il faut aller de l’avant, il faut se battre ! Au sein de sa propre vie, au sein de la société et puis dans la boxe. Il est toujours question de lutte. Et c’est vrai que le personnage de Joseph - que joue Richard Anconina - a plein de défauts, mais il lutte pour tenir la tête de son club et de sa famille hors de l’eau. Quoiqu’avec maladresse, il est dans l’action ! Alors on lui pardonne tout.

Comment les choses sont-elles devenues plus concrètes ?Ce scénario a été très dur à écrire. J’étais tellement proche du sujet qu’il fallait que je prenne du recul. Et ça n’a pas été évident. La première version du scénario a obtenu l’aide à l’écriture du CNC. J’ai travaillé pendant deux ans avec Gaëlle Macé, qui a notamment co-écrit Brodeuses. Ensuite on a cherché un producteur et on a fait la rencontre de Sunday Morning Productions. Ensuite, il y a eu un grand nombre de séances de travail et de discussions avant de savoir à la fois si on avait envie de faire le même film, et si on pouvait s’entendre sur le plan humain. Je dois dire que si j’ai l’impression d’avoir appris à faire du cinéma, en tout cas à faire mon cinéma, c’est dans cette période-là, avec Sunday Morning Productions, Nathalie Mesuret et les séances de travail qu’on a eues. Ensuite, un deuxième co-scénariste, Pierre Chosson, est intervenu. Je trouvais les personnages masculins - dont Joseph - un peu caricaturaux. J’avais donc envie de travailler avec un homme. Avec Pierre, on a finalisé le scénario. Ce fut aussi une belle rencontre.

Comment avez-vous choisi vos deux héroïnes ?Au départ, je voulais deux boxeuses. Mais, j’ai fait la rencontre de la directrice de casting Aurélie Guichard. Elle a accepté qu’on voie des boxeuses mais m’a peu à peu convaincue que ce serait plus facile de faire boxer des comédiennes que d’apprendre la comédie à des boxeuses. J’avais déjà eu un coup de coeur pour Louise Szpindel en la voyant dans « Des épaules solides » ; donc je l’avais en tête depuis un moment. Quant à Stéphanie Sokolinski elle est arrivée au casting comme une boule d’énergie à l’état pur, aussi séduisante que drôle. Pour moi, elle était le personnage et j’ai eu un coup de cœur instantané pour elle.

Comment avez-vous pensé à Richard Anconina dans ce rôle de patron de salle et d’entraîneur de boxe ? J’avais envie de le voir dans un rôle de père de famille. Et je voulais aussi le faire jouer dans un registre plus dur, car j’étais certaine qu’il y excellerait. À l’écran, j’avais envie que son personnage apparaisse à la fois injuste, menteur, lâche à certains moments, mais qu’on arrive à l’aimer quand même, à le comprendre. Et j’étais convaincue qu’avec Richard, ça allait marcher. Et il a réussi : Joseph est égoïste, mais on lui pardonne tout grâce à cette passion qu’il a pour la boxe. Et puis, il y avait aussi dans le physique de Richard quelque chose qui m’évoquait des hommes de ma famille : le côté brun, méditerranéen, pas très grand, séduisant, avec l’oeil qui frise…

Et Maria de Medeiros pour jouer la femme de Joseph ?J’ai été séduite par son étrangeté. Physiquement, elle dégage quelque chose de singulier, qui la décollait de l’image classique de la Barbie de cité, et de la femme de boxeur. Son étrangeté pouvait l’emmener dans une espèce de folie douce. Elle a une certaine classe. On a du mal à la faire rentrer dans des cases. Et à partir de là, j’ai eu envie de la déplacer vers quelque chose de plus populaire que ses rôles habituels.

Où a été tourné le film ?Le tournage a duré en tout 9 semaines. Tous les intérieurs, et quelques extérieurs, ont été tournés à Bourg-en-Bresse car on a eu une co-production avec la région Rhône-Alpes. Pour la majorité des extérieurs, le club de boxe et le gymnase, le tournage s’est déroulé dans mon fief : Vitry, Ivry-sur-Seine, Thiais. On habite tous là depuis quatre générations ! Toute ma famille fait de la figuration dans le film. Les autres figurants, je les dois à ma mère qui a fait venir tout son carnet d’adresse de boxe. Richard se sentait là-dedans comme un poisson dans l’eau et l’échange a extrêmement bien fonctionné.

Quelles consignes avez-vous donné à votre chef opérateur avant le tournage ?Avec Isabelle Razavet, qui a fait la lumière et le cadre, notre idée de base, c’était l’énergie ! L’authenticité aussi, la valeur documentaire que devait avoir le film ; et puis il fallait être en adéquation avec notre économie : on a tourné en super 16, énormément à l’épaule, les combats ont été filmés à une seule caméra… Je voulais tricher le moins possible et cette configuration légère était en adéquation avec ça. Dans les cordes est un film vivant qui est au plus près des comédiens. Ce sont eux qui impulsent le plus possible le mouvement de la caméra. On a essayé d’épouser leur rythme. Des contre-points ponctuels à ce réalisme, sont les moment oniriques où on est dans la tête d’Angie. J’avais envie qu’on s’envole vers plus de fiction, avec une vision du monde qui est la sienne, qui demandait donc à être plus travaillée au niveau de l’esthétique à l’écran. On peut le voir dans toutes ses projections mentales et lors du combat final, qui est filmé de manière plus esthétisante que les autres.

Quels sont les films de boxe que vous aviez en tête ?Je suis une passionnée de boxe donc je vois tous les films sur ce sport, quels qu’ils soient, de série A, B ou Z ! Mais j’ai deux films culte. Le premier, c’est Raging bull de Scorsese. Je trouve que c’est un film immense. J’ai dû le voir 43 fois. Le second, c’est Fat city de John Huston, tout particulièrement pour son propos beaucoup plus politique et son environnement social - cette petite ville ouvrière frappée par le chômage. Cela s’incrit dans un milieu social beaucoup plus proche de celui de Dans les cordes que Raging bull. Dans le film de Scorsese, ce qui est sublime, c’est le personnage et la manière dont sont filmés les combats. Chaque combat raconte un état du personnage. C’est quelque chose dont j’ai essayé de me rapprocher dans mon film. Je voulais que chaque combat soit traité formellement de façon à raconter quelque chose de l’état intérieur des personnages à ce moment précis du film.

En voyant le film, on est aussi frappés par la tonalité pop qui traverse sa B.O..C’est Jérôme Bensoussan qui l’a composée. C’est son parcours, les pôles musicaux opposés qui l’aimantent, qui m’ont séduite. Il est passé de groupes de musiques d’influences tziganes, à du pop-rock français tel que Miossec où Dominique A. Avec cette création musicale, on a voulu exprimer un décalage avec ce qui se passe à l’écran. Ce n’est pas une musique illustrative. Elle est teintée d’une sensualité pop étrange qui correspond à la petite musique intérieure d’Angie, son contre-chant. On a envisagé cette bande originale comme un album rock qui serait le futur d’Angie… son ailleurs…