28 FÉVRIER 2011

Denys Arcand : "C'est ça le sens de ma vie : faire des films pour mieux comprendre..."

"Mon film sera réussi s'il provoque le débat. J'aimerais qu'il provoque l'enthousiasme, qu'il donne envie à un père de parler à son fils, ou simplement qu'il atténue la solitude d'un spectateur qui s'y reconnaîtra... Mais moi, je n'ai rien à proposer, pas de solution, je ne prétends rien..." expliquait le réalisateur canadien à propos des "Invasions Barbares", conçu comme une suite au "Déclin de l'empire américain".

Dix-sept ans après, pourquoi faire une suite au Déclin de l'Empire américain... ?Denys Arcand: En 1986, le film avait un tel succès que ça ne m'in­téressait pas. Mais, depuis les années 1970, je revenais régulière­ment sur un même sujet : l'histoire d'un vieux professeur de lycée face à la mort. Mais j'avais beau le retravailler, j'aboutissais toujours à un scénario lugubre. J'avais envie de légèreté, de prendre ce sujet comme un défi à la mort. J'ai donc fait d'autres films, mais le thème revenait sans cesse. J'ai finalement repensé aux personnages du Déclin, et le croisement entre les deux a provoqué un déclic. Tout à coup, il y avait une logique : leur cynisme et leur détachement emmenaient le film là où j'avais envie, sans forcer. Parce qu'on connaît déjà ces personnages ; on sait qu'ils peuvent se rouler un pétard à la veille de leur mort et se préoccuper de trouver le meilleur shit. Ils peuvent être au chevet de leur ami mourant et se rappeler les moments où ils baisaient. Ces personnages-là étaient ceux qu'il fallait pour mettre un voile léger devant un sujet grave.

Quand ils font le bilan des années passées, il y a beaucoup d'échecs. Ce n'est pas un volet négatif du Déclin. C'est une autre étape de la vie. Le passage du temps est plus lourd. C'est l'âge.

Pourtant, on rit beaucoup... Ils sont drôles quand je me moque de moi-même.

C'est un film autobiographique ?Comme le premier, oui. C'est ma vie, ce sont mes idées, et je suis proche de tous les personnages du film qui ont mon âge. A une différence près : ma vie à moi a été consacrée au cinéma...

Mais vous avez d'abord eu une formation d'historien... Oui, c'est ma structure mentale : je cherche, comme eux, à comprendre l'époque où je vis. Et le seul éclairage qu'on a sur le présent, c'est le passé. Ainsi, du titre, Les Invasions barbares : les Grecs et les Romains appelaient « barbares » ceux qui étaient au-delà de leurs frontières ; les Etats-Unis aussi pensent comme ça... Dans mes films comme dans mes documentaires, j'essaie de comprendre la société, les gens qui m'entourent, les enfants... C'est ça le sens de ma vie : faire des films pour mieux comprendre. J'aurais aimé en faire de meilleurs ; en tout cas, j'ai fait du mieux que j'ai pu.

Vous ne craignez pas les malentendus ? Que certains propos du film soient tenus pour vôtres ?Mon film sera réussi s'il provoque le débat. J'aimerais qu'il provoque l'enthousiasme, qu'il donne envie à un père de parler à son fils, ou simplement qu'il atténue la solitude d'un spectateur qui s'y reconnaîtra... Mais moi, je n'ai rien à proposer, pas de solution, je ne prétends rien. La vie est énigmatique et j'ai toujours cherché à faire des films qui reflètent cette ambiguïté. Par contre, c'est vrai, j'ai l'impression d'être mal compris quand des journalistes disent que je fais l'apologie du néolibéralisme ! Il me semble juste plus intéressant d'opposer un fils capitaliste et puritain à un socialiste mourant, parce que faire du fils un raté, ça aurait été un vrai cliché.

Mais on peut penser que lui, justement, a la solution : l'argent. Non. Même un capitaliste sait que s'il gagne aujourd'hui, c'est par défaut ; que son système ne marche à grande échelle qu'en exploi­tant des enfants, des plus pauvres... Ça ne peut pas durer. Mais il y a une même faillite des méthodes socialisantes. Je montre ça dans le film : au Canada, la médecine a été nationalisée avec des visées humanistes ; mais s'est installée une machine bureaucratique démente. La question, c'est de trouver une méthode pour rempla­cer aussi bien l'ogre bureaucratique que la sauvagerie capitaliste. C'est cela qu'il faut inventer.

Propos recueillis par Philippe Piazzo