28 FÉVRIER 2011

Du bon usage des comédiens

"Faire tout un travail sur l’apparence, la gestuelle des différents personnages, plus que sur le ressenti et le vécu..."La réalisatrice raconte sa collaboration avec Miou Miou, Elie Semoun, Vahina Giocante...

> Travailler avec les comédiens.

"Je n’aime pas vraiment répéter, sauf si je sens que ça peut éventuellement modifier la vision d’ensemble de la scène ou permettre de préciser des dialogues. Je préfère accomplir un travail en amont avec les comédiens qui consiste à les faire entrer dans l’univers du film. Par exemple, Wanda de Barbara Loden m’a servi de référence pour parler à Miou-Miou de son personnage et de l’importance que peut avoir une coiffure pour le construire et lui donner une réalité immédiate. De mon côté, j’ai besoin de m’imprégner de ce qu’ils sont, de les connaître, de les regarder, parfois pour dépasser l’image - souvent très forte - qu’ils peuvent avoir comme acteurs.

Le costume est une étape très importante dans ce travail préalable. Il dessine un corps, une silhouette, une manière de marcher... C’est important, même si, en définitive, dans Riviera, on voit surtout le haut des corps, rarement la silhouette toute entière. On a donc fait tout un travail sur l’apparence, la gestuelle des différents personnages, plus que sur le ressenti et le vécu.

Avant et pendant le tournage, je donne très peu d’indications psychologiques. J’ai conscience que c’est souvent difficile à accepter pour les comédiens, parce que, naturellement, ils ont besoin d’aliments consistants pour nourrir leur composition. Mais ce vide, cette absence, les laisse aussi dans un trouble qui est paradoxalement très riche. C’est le trouble de Vahina pendant les scènes avec Mathieu Simonet - pour incarner l’affreux play-boy, je voulais un ange, avec un côté très féminin. Evidemment, il ne faut pas se tromper sur les associations de comédiens, les couples que l’on forme dans le film. Le couple que forment Miou-Miou et Franc Bruneau me paraissait aussi plein de promesses, à cause de la spontanéité et du jeu très naturel de Franc, indispensables pour exister face à une comédienne aussi authentique et exigeante que Miou-Miou - et il les a tenues."

> Miou-Miou

"Elle compose un personnage intérieur, très tendu, tout en regards. Elle existe dans chaque plan, avec presque rien. Mais, chez elle, le presque rien se compose de mille choses. Elle a une façon très personnelle de s’approprier le personnage qu’on lui propose, de l’habiter. Ainsi, elle a fait tout un travail de préparation dans l’hôtel pour s’imprégner des gestes quotidiens, répétitifs, du travail de femme de chambre. Pour elle comme pour moi, c’était très important qu’elle ne fasse pas semblant."

> Vahina Giocante

"C'est une comédienne très sensuelle, très physique, ce qu’elle propose dans les moments de silence est toujours surprenant, et elle aime danser, ce qui était essentiel pour le rôle de Stella. Ça a été d’ailleurs un point d’appui important pour elle dans les moments où elle était déstabilisée par la violence du rôle : avec les séquences de danse, elle reprenait de la force et de l’énergie parce qu’elle était dans son élément. Après, ce qui a été compliqué à gérer pour elle comme pour moi, c’était le coeur du film, cette question de la beauté et de l’apparence : c’est très dur, pour une jeune et belle comédienne, d’incarner un personnage qui est dans l’aliénation, dans l’absence complète de maîtrise des situations, et qui ne doit exister qu’à travers ce qu’elle paraît être. On se pose toujours la question de la distance entre soi et le personnage. Vahina a dû se débattre avec cette question pendant tout le tournage, et elle s’en est sortie magnifiquement."

> Elie Semoun

"Avec Elie, le travail a été étonnamment simple, presque toujours évident. Il avait une espèce de familiarité avec le personnage, et il me semble en effet que Romansky pourrait presque avoir sa place dans “Les Petites Annonces”. À aucun moment je ne me suis dit qu’il s’agissait d’un contre-emploi. Elie est juste dans un autre tempo, plus retenu que celui qu’il pourrait avoir dans l’un de ses spectacles. Mais, l’avantage d’un vrai comique, c’est qu’il peut aller plus loin. Avec lui, toutes les inhibitions sautent. Elie porte une sorte d’excès permanent en lui, tout en restant humain. Pendant le tournage, il a toujours proposé des pistes nouvelles, avec une très grande liberté, et sans avoir peur des côtés les plus noirs de son personnage. Et puis, surtout, il est tendre. Je n’aurais pas supporté la scène très violente qui fait basculer le film sans cette tendresse qu’il porte en lui, et qui rend son geste désespéré au lieu d’en faire un pur acte gratuit."