12 OCTOBRE 2018

Ecran - Guy Braucourt: Le Charme discret de la bourgeoisie

"... la plate réalité que Bunuel a prise pour sujet (...) est cassée sans cesse par l'intrusion de cette dimension chère aux surréalistes, le rêve, au moyen duquel chacun révèle ses angoisses et, à travers elles, sa vérité profonde. Peur de ne pas être à sa place et de ne pas savoir son rôle (Cassel), peur du scandale qui fait éclater le vernis protecteur des convenances (Frankeur), peur des ennuis, administratifs mettant en cause l'autorité de sa fonction (le commissaire), peur de la violence physique qui réduit à rien son rang (l'ambassadeur). De la futilité des apparences mondaines à la remise en question du jeu social et au scandale de la mort (...) c'est toute la tragique dérision de la condition humaine que Bunuel révèle ainsi, sans avoir l'air d'y toucher (...) Bunuel est donc trop modeste lorsqu'il divise son oeuvre en courants différents : surréaliste, réaliste (Tristana), théologique (La Voie lactée) : alors qu'il est justement évident que chacun de ses films est gros de tous ces courants, et que l'importance du cinéma de Bunuel comme de celui de Bergman tient dans l'impossibilité qu'il y a à le réduire à une dimension, à un problème, à une étiquette aussi bien qu'à une idéologie (...) Bunuel finit de couper l'herbe sous la plume des idéologues par la confusion qu'il pratique entre le réel, l'irréel et le surréel - la force de cette confusion évidemment feinte résidant dans la rigueur d'une construction à tiroirs dont la perfection évoque ce chef-d'oeuvre du genre : Le Manuscrit trouvé à Saragosse. Et l'on pourrait appliquer au(x) film(s) de Bunuel cette paraphrase du mot de Breton : le plus admirable dans le surréel, c'est que le surréel n'existe pas : tout est réel (...) Il y a quelques années déjà que Bunuel a reconnu que "l'usage du scandale, s'il fut utile dans le passé, est maintenant une action négative", L'Age d'or étant désormais "une oeuvre tranquille et applaudie". Et il y a longtemps qu'il sait, comme tous les grands créateurs, que l'on ne fait pas la révolution par le cinéma, pas plus que par aucun autre art d'ailleurs. Le génie de Bunuel, c'est de faire déboucher cette lucidité non sur un scepticisme stérile, sur un quelconque reniement ou sur le moindre renoncement, mais, à travers, ces chefs-d'oeuvre de la maturité que sont Belle de jour, Tristana, Le Charme discret..., sur la miraculeuse alliance de la vigueur, de la santé juvéniile et du serein équilibre de l'expérience acquise..."

"... la plate réalité que Bunuel a prise pour sujet (...) est cassée sans cesse par l'intrusion de cette dimension chère aux surréalistes, le rêve, au moyen duquel chacun révèle ses angoisses et, à travers elles, sa vérité profonde. Peur de ne pas être à sa place et de ne pas savoir son rôle (Cassel), peur du scandale qui fait éclater le vernis protecteur des convenances (Frankeur), peur des ennuis, administratifs mettant en cause l'autorité de sa fonction (le commissaire), peur de la violence physique qui réduit à rien son rang (l'ambassadeur). De la futilité des apparences mondaines à la remise en question du jeu social et au scandale de la mort (...) c'est toute la tragique dérision de la condition humaine que Bunuel révèle ainsi, sans avoir l'air d'y toucher (...)

Bunuel est donc trop modeste lorsqu'il divise son oeuvre en courants différents : surréaliste, réaliste (Tristana), théologique (La Voie lactée) : alors qu'il est justement évident que chacun de ses films est gros de tous ces courants, et que l'importance du cinéma de Bunuel comme de celui de Bergman tient dans l'impossibilité qu'il y a à le réduire à une dimension, à un problème, à une étiquette aussi bien qu'à une idéologie (...) Bunuel finit de couper l'herbe sous la plume des idéologues par la confusion qu'il pratique entre le réel, l'irréel et le surréel - la force de cette confusion évidemment feinte résidant dans la rigueur d'une construction à tiroirs dont la perfection évoque ce chef-d'oeuvre du genre : Le Manuscrit trouvé à Saragosse. Et l'on pourrait appliquer au(x) film(s) de Bunuel cette paraphrase du mot de Breton : le plus admirable dans le surréel, c'est que le surréel n'existe pas : tout est réel (...)

Il y a quelques années déjà que Bunuel a reconnu que "l'usage du scandale, s'il fut utile dans le passé, est maintenant une action négative", L'Age d'or étant désormais "une oeuvre tranquille et applaudie". Et il y a longtemps qu'il sait, comme tous les grands créateurs, que l'on ne fait pas la révolution par le cinéma, pas plus que par aucun autre art d'ailleurs.

Le génie de Bunuel, c'est de faire déboucher cette lucidité non sur un scepticisme stérile, sur un quelconque reniement ou sur le moindre renoncement, mais, à travers, ces chefs-d'oeuvre de la maturité que sont Belle de jour, Tristana, Le Charme discret..., sur la miraculeuse alliance de la vigueur, de la santé juvéniile et du serein équilibre de l'expérience acquise..."