28 FÉVRIER 2011

Elia Suleiman : "Rendre les frontières floues..."

"A chaque fois qu'une chose peut être cataloguée, je fuis !" dit le cinéaste palestinien. Pamphlet politique, journal intime, film burlesque... son film joue effectivement sur plusieurs registres et met même en scène les membres de sa propre famille !

Pour faire un film politique aujourd'hui, utiliser le comique est un bon moyen ?Elia Suleiman : Sûrement. De toute façon, tout est politique, alors autant lutter contre notre tendance à la propa­gande. L'humour est salutaire. Quand la police a fouillé mon appartement, à 6 heures du matin, en espérant y trouver des terroristes, ce n'était pas si drôle que ça... La scène du film l'est un peu plus, j'espère. Mais Chronique d'une disparition est surtout le reflet de ma personnalité. Je joue d'ailleurs dans le film, mes parents, et mes amis aussi.

Pourquoi ?ça me semblait un casting parfait... Non, sérieusement, c'est mon premier long métrage, je m'y suis lancé avec passion et j'ai pris de nombreuses décisions à l'instinct. Au moment de choisir une comédienne pour jouer le rôle de ma mère, ça devenait ridicule. L'histoire met en place des gens réels, autant leur demander d'être eux-mêmes face à la caméra. C'est ma façon d'aller vers des sentiments vrais.

On a du mal à distinguer l'autobiographie de la fiction...Tant mieux. Mon but était de rendre cette frontière floue. A chaque fois qu'une chose peut être cataloguée, je fuis. Je peux quand même préciser que tout, ici, est fiction. Même si chaque séquence fait référence à une expérience, à un souvenir personnel, tout est écrit et mis en scène.

C'est un film qui cherche...Il cherche son sujet, tourne autour, et cherche sa propre personnalité. A l'image de cet écrivain à qui l'on vient demander une histoire sur Istanbul et qui raconte comment il a lui même demandé cela à son grand-père. Et il s'arrête là ! Il parle pour évoquer Istanbul... mais, finale­ment, ne dit rien. Le cinéma est un peu comme ça, non ?

Comment ont réagi les spectateurs ?Certains Israéliens y ont découvert., avec un peu d'an­goisse, que Nazareth est un ghetto. Beaucoup continuent de croire que c'est une ville ouverte. Les Palestiniens, eux, y voient un reflet immédiat de leur quotidien et sont plus sensibles à l'humour. Ce qui, par ailleurs, déplaît à cer­tains. Ce n'est pas assez politique et, pour eux, Chronique d'une disparition n'est pas un vrai film palestinien.

Qu'est-ce que c'est "un film palestinien" ?Un film avec des images de terroristes. Un film de vic­times sur des victimes. Avec des héros plus ou moins losers. Ou alors un film libéral, ouvert, plein d'idées posi­tives et confiantes. Un film où transpire le désir de paix. Schéma type : un Arabe aime une Juive sur fond de conflit politique qui interfère dans leur relation... Cela aboutit à une sorte de soap-opera idéologique. Il y aussi le film folklorique qui exalte les racines. A les voir, une seule chose est sûre : l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Propos recueillis par Philippe Piazzo