Emilie Dequenne : "On est tous en quête d'une identité"
Primée à Cannes pour "Rosetta", charnelle héroïne du "Pacte des loups", on la retrouve à 19 ans dans "Oui, mais...". Entretien en sorte d'introspection : "Ce film c'est un peu un médicament, simplificateur de vie", dit-elle.
Qu'est-ce oui vous attirait, dans ce rôle d'une jeune fille qui décide de faire une psychanalyse ?Emilie Dequenne : J'ai reçu le scénario à un moment où je me posais beaucoup de questions... C'était peu après la sortie et le succès de Rosetta. En retournant chez mes parents, je me demandais ce que j'allais faire dans ce hameau de 200 habitants, à vingt minutes en voiture de la première petite ville. Je me suis inscrite à l'université, à Liège, j'ai pris un appartement avec des amis et mon copain... j'avais très bien gagné ma vie avec Rosetta. Mais j'avais encore, par exemple, cette sensation d'argent de poche, ce besoin de rendre des comptes à mes parents. Je me sentais tiraillée entre ma vie avec eux et mon désir d'indépendance. Je déteste cette expression mais j'avais sans doute besoin de « couper le cordon »... Surtout avec ma mère — d'ailleurs, depuis, je m'entends très bien avec elle.
Le film a répondu à vos questions ?Il m'a fait du bien. Mon personnage dit : « Ce n'est pas parce qu'il fait nuit de temps en temps que le soleil n'existe pas. » Je pense exactement comme elle. Et je crois que le film peut agir sur les autres à plusieurs niveaux. Ce film, c'est un peu une thérapie. Un médicament. Un simplificateur de vie.
N'est-il pas aussi un peu simpliste ?Il est simple, pas simpliste. Il est léger dans le meilleur sens du terme. Léger, mais pas superficiel. Il énonce quelques idées de base qui aident à mieux analyser nos comportements. Peut-être est-il un peu idéalisé, mais le cinéma sert aussi à ça, à distraire.
Il a aussi un côté pédagogique...Ce sont les vingt premières minutes, et je trouve ça bien. Il y a de l'humour dans cette présentation et cela rend la psychanalyse accessible à tous, ce qui n'était pas évident... Cela donne aussi plus d'ampleur à mon personnage. On entre dans sa vie et ensuite on explique moins les choses.
C'est un personnage qui ne concerne pas seulement les adolescents, tout le monde peut être touché par sa démarche...Ça, j'en suis intimement persuadée. Parce qu'on a tous, comme elle, une volonté d'équilibre, une quête d'identité. Cette fille fait, à 17 ans, la démarche de changer quand d'autres, à 40 ans, n'ont même pas commencé à envisager la question ! Elle est à la recherche d'une acceptation de soi, tout en allant vers les autres. Elle va vers un assainissement général ; entame un processus de prise de conscience. Sur ce qu elle est, sur ce qui la gêne pour avancer. Elle souffre, mais elle est dans une attitude très positive.
Des trois films que vous avez interprétés, c'est le rôle le plus proche de vous ?Non, elle ne me ressemble pas beaucoup, mais ça pourrait être une très bonne amie. De toutes façons, à chaque fois, il y a cette conscience que je suis en train de jouer. Sur Rosetta, j'avais 17 ans et les frères Dardenne cherchaient à me faire oublier ma propre personne, pour laisser la place à Rosetta. Leur direction était à la limite de la manipulation, mais dans un sens très positif. Pour être Rosetta, je sentais qu'il fallait que je me vide.
Dans Le Pacte des loups, vous n'étiez plus au centre du film...Je me suis d'abord sentie larguée. D'un film intimiste, qui ne me lâchait pas, je suis passée à un film d'action qui me filmait de loin... Je me suis mise toute seule une pression inutile. J'ai perdu beaucoup de temps et d'énergie à me répéter : « Il faut que je sois bien. » Après coup, j'ai pensé que j'aurais dû jouer ce rôle comme je faisais du théâtre quand j'étais petite : avec amour et amusement.
Dans Oui, mais, c'était le cas ?Le réalisateur m'écoutait. Plusieurs scènes tiennent compte de mes remarques...
Lesquelles ?Des scènes pas tournées ! Des scènes de nu, par exemple. Parce que ça me paraissait improbable que cette fille, venant d'un milieu comme le sien, se mette à poser nue pour des étudiants afin de payer sa psychanalyse. Je voyais aussi la scène d'amour plus prude, plus pudique. Après l'amour, mon personnage disait : « C'est chaud et humide »... C'est une phrase d'homme, pas les mots d'une fille de 17 ans. Elle, elle dit : « Ça prend de la place », et je trouve ça plus juste. Comme je trouve plus vraie la scène d'amour, quand l'orgasme est perçu à travers les gestes, les regards, les mouvements... Le nu, parfois, peut gâcher les émotions. Mais bon, l'acteur n'a pas forcément à intervenir. C'est agréable si on sent qu'on est à sa place... Parfois, il n'y a rien à dire. Juste à être dirigée. On y va. C'est du jeu... et c'est instinctif. On cherche. Moi, je me sens en équilibre. Entre mes impressions vécues, mes sensations intimes et mon imaginaire.
Propos recueillis par Philippe Piazzo