Entretien avec Jérôme Prieur - Ma vie dans l'Allemagne d'Hitler
S’appuyant sur des témoignages d’exilés ayant fui le nazisme, le film documentaire en deux parties de Jérôme Prieur « Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler » dévoile une passionnante vision intime de l’histoire.
Comment est né ce projet ?
Jérôme Prieur : Après mon précédent film pour ARTE, « Les Jeux d’Hitler », j’ai découvert par hasard une enquête lancée en 1939 par l’université de Harvard, auprès d’exilés allemands. Le thème était : “Ma vie en Allemagne avant et après le 30 janvier 1933”, date de la nomination d’Hitler comme chancelier du Reich. Ont été recueillis 281 témoignages écrits par des hommes et des femmes de confessions et d’obédiences politiques variées, réfugiés aux États-Unis, en France, en Angleterre, en Suisse et ailleurs. Leurs récits, demeurés quasiment inconnus, témoignent de la transformation de l’Allemagne lors de la montée au pouvoir des nazis. En commençant à les déchiffrer, je me suis senti comme un archéologue qui pénètre dans une chambre secrète.
Comment avez-vous opéré le choix des textes ?
J’en ai sélectionné une soixantaine et les ai soumis au professeur allemand Detlef Garz, qui a consacré sa vie à l’étude de ce fonds. Il m’a conforté dans mes choix. Avec une équipe d’étudiants germanistes et le concours de l’historienne Isabelle Davion, j’ai ensuite extrait de ces destins personnels des épisodes révélateurs de la nazification de l’Allemagne. Cette myriade de témoignages, remarquablement portés par la comédienne et chanteuse berlinoise Ute Lemper, permet de raconter à plusieurs voix, comme une sorte de grand oratorio, la manière dont la vie quotidienne et la vie privée ont été transformées par la terreur, puis par l’adhésion de la société au régime. Le film montre la docilité, la lâcheté, la soumission, la servitude volontaire : des comportements qui restent d’actualité...
Les images qui composent le film ont rarement été montrées...
Par principe, j’ai écarté les images officielles et utilisé beaucoup de films amateurs. Pour moi, ils ont souvent une véritable puissance cinématographique et dramatique. Quand on observe la meute humaine à l’affût autour de Goering lors d’une scène de chasse, on ne peut s’empêcher de penser à d’autres traques, à la sinistre Nuit de cristal, aux pogroms contre les Juifs des 9 et 10 novembre 1938. C’est la force de certaines images d’archives : tout en captant un moment particulier de l’histoire, elles évoquent ce qui reste invisible, implicite, latent. C’est grâce à cet écart entre ce que nous voyons et ce que nous imaginons que la représentation du passé peut nous troubler et nous atteindre.
Propos recueillis par Laure Naimski