28 FÉVRIER 2011

Erick Zonca : "J'aborde mes films à la sauvage. La cohérence vient après"

Révélé à Cannes en 1998 avec "La Vie rêvée des anges", le réalisateur explique ici la génèse de son premier long métrage, la façon dont il a choisit ses interprètes et comment il a construit le film.

"A l'origine de La Vie Rêvée des Anges, il y a la rencontre que j'ai faite avec une jeune fille qui m'a inspiré le personnage d'Isa. Je préparais mon deuxième court métrage, Eternelles, et je recevais en casting un certain nombre de candidates. Parmi elles, une jeune fille, sac au dos, s'est présentée, munie d'un drôle de book qu'elle s'était confectionné et qui était, en réalité, son journal. Il se dégageait d'elle une sorte de sérénité, de grâce et de confiance absolue dans la vie. Elle m'a raconté que, comme Isa dans le film, elle se posait là où ses pas la portaient, qu'elle vivait au jour le jour, au gré des galères et des rencontres. Comme Isa, elle a travaillé parfois en usine, poursuivant toujours son bonhomme de chemin. Je ne l'ai pas perdue de vue et je n'ai jamais cessé de suivre son parcours. Elle est d'ailleurs venue sur le tournage et lorsqu'elle a vu le film, elle m'a dit s'être reconnue dans le personnage d'Isa.

Quant au personnage de Marie, je me suis également inspiré d'une femme que j'ai rencontrée et qui m'est très chère. A l'époque où nous nous sommes connus, cette femme était en totale révolte contre la société et elle ressentait cette même hargne impuissante que Marie dans le film.

C'est à partir de ces deux rencontres, de ces deux personnages de femmes que j'ai bâti mon histoire. Il m'a fallu deux ans pour l'écrire et pour la faire évoluer d'un projet initial de quatre heures à ce qu'est le film aujourd'hui. Mon approche de l'écriture est avant tout visuelle. Le point de départ de mes scénarios est toujours l'imagination. Toute démarche didactique m'est étrangère. Je ne pars jamais ni d'un thème ni d'un point de vue théorique mais je me laisse guider par mon seul imaginaire. L'introduction du sens et de la cohérence est une démarche qui intervient après un travail que j'aborde à la sauvage.

Comme pour Rives, Eternelles et Seule, mes trois courts métrages, ce que j'ai envie de faire passer avant tout c'est l'émotion. Formuler des vérités sur le monde ou la société ne m'intéresse absolument pas. Je n'ai pas du tout une vision documentaire. Ce que j'aime ce sont les rencontres avec des êtres humains.

Mon expérience de comédien m'a permis de comprendre l'effet miroir entre un metteur en scène et son interprète. La direction d'acteurs est ce qui m'angoisse le plus et, en même temps, ce qui me plaît le plus. Si j'écoute mes comédiennes, elles disent ne pas avoir eu le sentiment d'être dirigées. Moi, en tout cas, j'ai l'impression qu'elles se sont emparées des personnages, qu'elles les ont capturés.

J'ai su dès l'écriture du scénario, comme une évidence, qu'Elodie Bouchez était Isa. Elle a l'innocence et la grâce de son personnage. Les autres m'ont convaincu aux essais. A l'origine, pour Marie, je me faisais une tout autre idée du personnage. C'était une fille que je voyais brune, par exemple. Et puis, après plusieurs séances d'essais, j'ai trouvé que Natacha Régnier, sa blondeur, sa façon de se tenir et de bouger, m'ouvraient d'autres perspectives qui allaient dans le sens de ce personnage violent et "jusqu'au boutiste" qu'est Marie.

A l'évidence, Grégoire Colin, était Chriss, cette espèce de fauve, d'animal instinctif et dangereux que je recherchais pour le rôle. J'ai beaucoup apprécié qu'il n'ait jamais tenté d'attirer le personnage vers la sympathie. Chez Patrick Mercado, Charly dans le film, ce qui m'a touché c'est la véritable tendresse qui émane de lui. Et puis, il écrit des polars et ça, c'était un atout de plus, l'écriture. Jo Prestia, Fredo, avait peu d'expérience de comédien, mais iI m'a rassuré tout de suite par son jeu. Pour l'anecdote, Jo est ancien champion du monde de boxe thaï. Comme le Fredo du film, il a été videur à Lille dans le temps. Ces deux-là, c'était pour moi le choix idéal pour interpréter des personnages qui apparaissent d'abord comme deux grosses brutes mais qui ont en fait une vraie connaissance du monde dans lequel ils vivent.

Enfin, je ne connaissais pas Lille mais j'avais situé l'action de mon scénario dans le Nord. Cela aurait pu aussi bien trouver sa place ailleurs : mon sujet est quasi universel."

Erick Zonca