28 FÉVRIER 2011

Extraits du carnet de tournage des frères Dardenne

Quelques lignes, prises ici et là au long d'une année, qui dessinent la naissance d'un film, "Le Fils".

10 janvier 2001

L'intrigue, c'est le personnage, opaque, énigmatique. Peut-être pas le personnage mais l'acteur lui-même : Olivier Gourmet, son corps, sa nuque, son visage, ses yeux perdus derrière ses verres de lunettes. Nous ne pourrions pas imaginer le même film à partir d'un autre corps, d'un autre acteur.

2 avrilDeux corps séparés par quelque chose qu'on ignore. Deux corps attirés par quelque chose qu'on ignore. Des gestes, des mots, des regards qui ne cessent de mesurer la distance qui les sépare en même temps que la puissance du secret qui les rapproche. C'est cela qu'il faudra tenter de mesurer avec notre caméra.

11 avrilLe corps d'Olivier en déséquilibre permanent. La nouvelle caméra A-Minima pourra peut-être nous aider à filmer cet état de suspension.

1er maiLes coins de mur, les escaliers, les tournants, les couloirs. Briser les lignes droites. Marche avant / marche arrière. Mouvements d'hésitation. Labyrinthe. Pour être dans la tête d'Olivier.

23 novembreCinquante troisième jour de tournage. Épreuve physique pour tout le monde.Il y a quelque chose d'impossible dans ce que fait Olivier. Magali a sans doute raison de lui dire : "Pourquoi tu le fais, alors ?" et il a sans doute raison de lui répondre : 'le ne sais pas". Nous, non plus, on ne sait pas.

29 décembreL'imagination morale ou la capacité de se mettre à la place d'un autre. C'est un peu cela que le film demande au spectateur. Et cet autre, il surprend. Et le spectateur surpris s'aperçoit que l'autre l'a emmené ailleurs et il s'en veut de ne pas avoir pensé que l'au­tre était capable de le conduire jusque-là.

4 avril 2002Le film s'appelle "Le Fils". Il aurait pu s'appeler "Le Père".