12 JANVIER 2021

Frank Capra - La vie réelle

Chantre d’une Amérique de conte de fées, Frank Capra a forgé son œuvre au feu d’un idéalisme immédiatement reconnaissable. Retour sur l’homme derrière l’artiste, avec Dimitri Kourtchine, réalisateur d’un documentaire sur le petit immigré italien devenu roi d’Hollywood.

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Quel est, selon vous, l’aspect le plus fondamental du cinéma de Frank Capra ?

Dimitri Kourtchine : Une concordance de thématiques. Son optimisme forcené, sa volonté de parler des classes populaires et sa foi inébranlable dans le système américain le poussent à se tourner vers le conte de fées social. Mais l’idée de mon documentaire était de rappeler que Capra est avant tout un très grand réalisateur et technicien, qui a réussi à faire des films résolument modernes et qui a participé à l’élaboration du langage cinématographique tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce qui me touche personnellement dans son œuvre, c’est sa capacité à passer en une seconde du rire aux larmes. J’ai revu « La vie est belle » dix ou quinze fois pour le documentaire, et il a réussi à me faire pleurer à chaque fois ! Capra est d’une efficacité incomparable, je ne sais pas qui d’autre est capable de faire ça.

 

En mettant son talent et son art au service de l’Amérique, comment Capra s’est-il situé face au pouvoir ?

Dimitri Kourtchine : Le problème de Capra est qu’il est très ambigu, ayant dit tout et son contraire. Il ne s’est jamais caché d’être un républicain convaincu, tout en affirmant que la politique ne l’intéressait pas plus que ça. On ressent dans tous ses films un sentiment anti-élite, un peu populiste, antigouvernement, qu’il présentait souvent comme corrompu, par exemple dans « Mr Smith au Sénat », où seul l’individu peut renverser l’ordre des choses par son honnêteté et sa simplicité. Sa vision de l’Amérique se résumait à l’individu, mais le peuple en tant que foule lui faisait peur. Ce qu’il lui fallait, c’était une petite communauté, où pouvaient se créer des collectifs.

 

Peut-on dire, en parlant de Capra, “le style c’est l’homme” ?

Dimitri Kourtchine : Ce serait plutôt l’inverse en réalité ! Frank Capra a essayé de faire correspondre sa vie aux personnages qu’il imaginait dans ses films. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’a cessé d’inventer des héros archétypaux qu’on a envie d’aimer, invariablement positifs, toujours innocents, alors que lui-même était très torturé, traversé par des tensions et notoirement dépressif à plusieurs moments de sa vie... Il s’est beaucoup raconté dans ses films, mais en imaginant des reflets inversés de lui-même. Au-delà de la simplicité apparente de son œuvre, et de son autobiographie romancée, Capra était un homme plein de paradoxes.

 

Propos recueillis par Augustin Faure