28 FÉVRIER 2011

Jacques Nolot : "L'écriture est ma vraie identité"

L'acteur-réalisateur raconte ce qui l'a mené à mettre en scène son premier film après avoir confié ses précédents scénarios autobiographiques à André Téchiné : la mort d'un ami très cher, la solitude, le besoin de retrouver la vérité d'un pays qu'il avait fui à seize ans... "Ma vie a toujours été du théâtre, du cinéma", explique-t-il.

> "Le vrai désir d'écrire le scénario de L'Arrière-pays est venu d'une séparation. Pour moi, l'écriture est liée à une séparation qu'elle soit passionnelle ou endeuillée. La mort d'un ami très cher a sans doute réveillé en moi des souvenirs en attente, en gestation. je ne me considère pas comme un écrivain, je ne sais pas écrire, je ne lis pas... Pendant mon enfance à la campagne, on me disait, "pourquoi aller à l'école ?" Pourtant, l'écriture est ma vraie identité. Sur les conseils d'un éditeur à qui j'avais raconté ma vie, j'ai essayé d'écrire une quarantaine de pages, très négatives, très dures avec moi-même. Ma meilleure amie, Raphaëline Goupilleau (qui joue dans le film le rôle d'Annie) a tapé le début de mon manuscrit, ça m'a donné du courage et j'ai écrit le scénario en trois semaines, dans une sorte de catharsis très violente. A travers la mort de ma mère, je me suis servi des sentiments aigus qui ont pro­pulsé l'écriture. J'ai une mémoire très précise des mots, des conversations, des émotions. Après une dispute, les deux tantes dévoilent, petit à petit, à Jacques, les his­toire cachées... J'étais tellement rongé par cette histoire que je me suis trouvé obligé de l'écrire, je dormais, je condui­sais, je vivais avec un crayon à côté de moi pour noter les situations, les dialogues qui venaient comme l'air d'une chanson vous obsède. Puis Agnès Godard, Danièle Dubroux et André Téchiné m'ont persuadé de le réaliser. Magouric Productions m'a donné carte blanche, et j'ai surtout été soutenu par Agnès, chef opérateur du film, elle a véritablement épousé mon sujet Le film s'ouvre sur l'arrivée d'un homme dans un village du sud-ouest. Avec ses arcades, la place du village ressemble à une arène vide... le silence, un soleil écrasant, il y a une sorte de dramatisation visuelle, on a l'impression qu'on va vivre une mise à mort."

> "Ce village, c'est ma mort.. il me semble figé, enfermé... moi aussi. C'est pour cela que ai voulu le ralenti sur cette scène, une place vide, le silence, pas de musique, personne dans les rues... La peur de revenir au pays. Après dix ans d'absence, j'étais revenu en décapotable, les cheveux teints en blond, je jouais la provoc ! Pour le film, trente ans après, j'ai préféré que Jacques arrive doucement, la peur au ventre, la peur de soi, peur des retrouvailles, peur de son enfance, peur des souvenirs, peur de tout. Malgré son âge..."

>"La mort, ça fait aussi partie de la vie ! Excusez-moi de dire cette chose aussi simple. J'ai vécu cette situation, et je ne pouvais pas ne pas la filmer. La mort est tellement naturelle ! J'ai dit à Agnès Godard, directrice de la photo : "on fera simple, surtout que ça ne fasse pas cinéma, pas une trop belle lumière. Épousons le caractère des gens, épousons le lieu, laissons la maison telle qu'elle est".On a tourné dans la maison d'une dame chez qui j'allais voir la télévision à 15 ans. En voyant ce décor naturel, j'ai dit : "elle meurt là". La tapisserie convenait, le lit, on l'a laissé, j'ai rouspété pour les draps qui étaient trop neufs, j'en ai pris chez ma tante, j'ai pris les nappes des voisins, leurs balais... J'ai dit : "on met la caméra là en face, surtout faisons simple Agnès... " C'était aussi simple que ça. C'était comme à la mort de ma mère, j'étais tellement gêné que pour me donner une contenance, j'ai cherché une robe pour l'habiller.. A la première prise, on était tous en larmes sur le plateau. On ne l'a pas gardée, je ne voulais pas mettre cette émotion là dans mon personnage, je voulais de la distance. Dès l'écriture, je voulais casser chaque moment fort par un dialogue léger ou drôle comme : "les draps sont à l'envers", ou "quel est le con qui lui a enlevé sa montre ?"J'ai seulement suivi l'émotion et les gestes qui s'en suivent. J'ai essayé de respecter le temps réel des situations tout en gardant un certain rythme, Je me souviens que je ne savais pas comment rédiger le faire-part, j'ai pris le Sud Ouest pour chercher un exemple... J'ai trouvé ça amusant, et je m'en suis servi, je voulais donner au film des respirations entre les scènes dramatiques."

> "Je me suis beaucoup inspiré de ma solitude... A 16 ans, je rêvais de la ville, mais ce qui m'a fait partir, c'est un malaise, une singularité inconsciente. Dans les vil­lages, si vous ne partez pas très jeune, vous ne partez plus. Ceux qui partent, ce sont, soit les marginaux soit ceux qui sont mutés aux PTT ou dans la police, ou les profs...A 16 ans, on n'est pas conscient, on se cache tout. Avec le temps, on dissimule peut-être un peu moins. Il y avait chez moi, déjà enfant, des rapports très diffi­ciles avec mon père et ma mère. Un mal d'être dans un milieu macho. Il fallait que je joue au rugby... moi, je jouais au basket ou je tricotais... Il y avait un malaise, et le malaise fait bouger.. j'étais précoce sexuellement. Il y a eu la cul­pabilité de la mort d'un petit frère étouffé par un chat, et le doute sur mon père. Enfant, je me souviens que ma mère a dit à mon père, "tu ne l'aimes pas parce qu'il n'est pas... " et je n'ai pas compris ; puis un jour mon père m'a grondé et je lui ai dit "tu ne m'aimes pas parce que je ne suis pas... " Les seules élégances qu'ont eues mes parents, c'est de m'avoir laissé partir à 16 ans... et de mourir vite.

> "Être acteur est un métier qui fascine les gens par son côté "paillettes". Vous avez tous les droits. Avec la réussite ou l'argent, les gens oublient la différence et la marginalité. Alain dit cela par rapport au "qu'en-dira-t-on". Alain ne traite plus Jacques de pédé, il en a fait le tour, ce n'est plus son problème. Ce qui compte pour lui, à présent, c'est de ne pas avoir à s'occuper du vieux. Il ne veut pas payer pour le père, d'où la procuration... Le drame est caché chez le frère. Il a des moments fragiles mais il ne montre rien. Comme tous les hommes, il a tellement peur de ne pas l'être qu'il doit se le prouver sans arrêt, alors il drague, il va rigoler au café avec ses copains... Je voulais montrer que malgré la mort, la vie suit son cours."

> "C'est un film identitaire, un film d'écoute. Ce sont des choses que ai entendues.. . Elles font aussi partie des lois scénaristiques. J'ai construit une sorte de puzzle où l'on découvre tout au long du film des informations sur mon personnage, sur l'histoire de sa famille. Je n'ai pas voulu marquer les retours en arrière en tournant en noir et blanc pour préciser l'époque. Pour moi, le passé est toujours présent. On en est prisonnier.. quoiqu'on fasse. Le passé reste intact, surtout quand on revient sur les lieux."

> "J'ai pris conscience très jeune de ma différence. Quand j'étais enfant, je me suis com­posé un personnage pour exister, pour être comme les autres. J'étais obligé de jouer. Ma vie a toujours été du théâtre, du cinéma. Je ne suis pas un "acteur". Maintenant pour moi, le théâtre et le cinéma doivent représenter la vie. Si je ne peux pas m'y retrouver en tant que personne avec mes problèmes, mes fantasmes, mes peurs, mes joies, ça ne m'intéresse pas."

> "Jacques et Jacquinou : ils sont liés, leurs histoires sont totalement imbriquées. Je ne peux pas me cacher derrière mon personnage, il est ma force, ma force de vivre. L'Arrière Pays est un peu la continuité de La Matiouette., un moyen métrage réalisé par André Téchiné, où j'évoquais le premier retour et les rap­ports difficiles avec mon frère, provoqués par tellement de différences, et du scé­nario de J'embrasse pas, lui aussi tourné par Téchiné, où je racontais le départ du village et l'arrivée à Paris. C'est pour cela que j'ai voulu tourner là-bas, à Marciac, mon village natal. Je savais que l'émotion serait là. J'ai eu quatre moments forts dans ma vie et tous ont eu lieu à Marciac : mon départ à 16 ans, mon retour pour tenir ma mère morte dans mes bras, le tournage du film, et la projec­tion pour les gens du village."

Jacques Nolot