08 JUIN 2021

John Carpenter - Le cinéma irréfutable

Avec son nom iconique, incarnant à lui seul un certain âge d’or du cinéma de genre, il reste la figure tutélaire d’une génération de cinéphiles pleins de gratitude pour son œuvre, dont le réalisateur Nicolas Saada, qui intervient dans le documentaire "Big John".

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Comment définir la place de John Carpenter dans le cinéma américain, dix ans après son dernier film ?

Nicolas Saada : Il appartient à une tradition classique du cinéma hollywoodien, mais il est lui-même profondément avant-gardiste et radical. Je me souviens de ma sidération quand j’ai vu "New York 1997" à sa sortie. Carpenter a été très important pour ma génération, qui a grandi avec ses films dans les années 1980. Mais il a aussi été négligé, à tort, par les cinéphiles de la génération précédente. Quelque chose les a peut-être empêchés de regarder ce qu’il y avait chez lui d’absolument singulier, hors du temps et des “modes”. S’il y a vraiment une injustice dans l’histoire récente du cinéma, c’est le statut de Carpenter : Verhoeven, Cronenberg, Argento sont reconnus comme des auteurs par les grandes institutions. Pas lui.

 

Quel est son héritage aujourd’hui ?

Nicolas Saada : Il est immense : on voit son influence partout. Comme pour tous les grands cinéastes, certains s’inspirent de son travail en reproduisant à l’identique ses effets de signature, alors que son style est subtil, presque invisible. Finalement, s’il a tant marqué l’histoire du cinéma, c’est que son influence a dépassé le septième art lui-même, en inspirant des musiciens comme Air ou Daft Punk, qui se sont reconnus autant dans ses BO que dans ses images, ce qui est assez rare pour un cinéaste. Un autre aspect très contemporain de son travail, c’est la place qu’il accorde aux femmes. Il y a toujours beaucoup de délicatesse dans son regard, comme dans Starman, le portrait magnifique d’une femme qui reconstruit la mémoire de son époux disparu à travers un alien.

 

Vous avez affirmé que l’on reconnaît son style en deux ou trois plans, mais que son épure est telle qu’on ne voit jamais sa signature. N’est-ce pas paradoxal ?

Nicolas Saada : Il y a quelque chose d’absolument irréfutable et mystérieux dans son cinéma. À chaque fois que je vois "Assaut", je suis toujours aussi impressionné. De la même façon, je suis sidéré quand je revois "Halloween" : c’est du Chantal Akerman ! Il ne s’y passe parfois quasiment rien, avec un travail sur la durée qui serait impensable aujourd’hui. La force de Carpenter vient aussi de son intérêt pour la science, notamment la physique quantique : il y a un espace visible à l’œil nu et un espace invisible. Ses films ne font pas peur, ils provoquent une espèce d’inquiétude sourde, constante. L’inquiétude de la propagation, du toucher, du regard, cela correspond à ce que nous vivons aujourd’hui, et c’est au cœur de son cinéma.

 

Propos recueillis par Augustin Faure