19 JANVIER 2018

L'Humanité - Dominique Widemann: À ciel ouvert

"Les premiers plans sont à hauteur de l’enfant, à hauteur de l’oreille qu’un adulte lui tend. Puis l’on parcourt la maison rousse, les couloirs qui distribuent des chambres où l’on n’entre pas sans permission, le réfectoire, les ateliers, la cuisine, lieux de vie quotidienne aux décors calmes. Enfants fous qui ne se sont pas constitués comme sujets, corps et esprits morcelés, éclatés, sans filtres contre ce qui, de la vie bouge et agit en interne et du dehors. Comment concevoir cette béance à tous les vents, cette effroyable porosité ? Après des mois de repérages, Mariana Otero rend sensibles les territoires explorés, peuples d’êtres uniques dont l’existence n’est pas réduite aux symptômes. Evanne ne cesse de chuter, tout chez lui fuit dans un imaginaire sans confins, Alysson a peur, elle a froid, glousse, voit ses os « tomber par terre », ne sait courir que depuis ses huit ans, Jean-Hugues ressent d’horribles maux de tête lorsqu’il parle, Matteo ne tient pas sur ses jambes. Par quel bout aider, apaiser, leur permettre d’être au monde quand tout du monde menace dans cette incapacité à être soi. II faut inventer sans relâche, permettre aux enfants de se constituer pas à pas, bannir toute exigence qui les exposerait aux risques de l’anéantissement. Les intervenants bordent l’excès de ce « trop de tout » qui pulvérise. Dans les ateliers, on n’apprend pas la musique, le jardinage ou la cuisine II s’agit de réfléchir, d’élaborer, de rendre possible une adresse à l’autre pour se constituer On découvre la séquence, le comptage, la main que meut une volonté. Au potager, on se creuse et se déterre. Devant la caméra de Mariana Otero les interactions permanentes que nécessite ce processus deviennent tangibles, l’expérimentation s’éprouve. La cinéaste et sa caméra qu’elle transporte en permanence, aux aguets de l’imprévisible qui va surgir, s’inscrivent donc dans ce dispositif le temps de leur présence À l’instar des intervenants, des récits qu’ils entrecroisent au prisme de la clairvoyance collective, elle se maintient en retrait sans se soustraire, apporte la part d’elle même qui permet à l’autre de se redessiner « Les psychotiques ont un inconscient à ciel ouvert », écrivait Lacan. Dans le film de Mariana Otero, un langage cinématographique prend corps qui passionne et touche très profondément Entre les blés, Alysson court, court, court et rit de sa course."

"Les premiers plans sont à hauteur de l’enfant, à hauteur de l’oreille qu’un adulte lui tend. Puis l’on parcourt la maison rousse, les couloirs qui distribuent des chambres où l’on n’entre pas sans permission, le réfectoire, les ateliers, la cuisine, lieux de vie quotidienne aux décors calmes. Enfants fous qui ne se sont pas constitués comme sujets, corps et esprits morcelés, éclatés, sans filtres contre ce qui, de la vie bouge et agit en interne et du dehors. Comment concevoir cette béance à tous les vents, cette effroyable porosité ?

Après des mois de repérages, Mariana Otero rend sensibles les territoires explorés, peuples d’êtres uniques dont l’existence n’est pas réduite aux symptômes. Evanne ne cesse de chuter, tout chez lui fuit dans un imaginaire sans confins, Alysson a peur, elle a froid, glousse, voit ses os « tomber par terre », ne sait courir que depuis ses huit ans, Jean-Hugues ressent d’horribles maux de tête lorsqu’il parle, Matteo ne tient pas sur ses jambes. Par quel bout aider, apaiser, leur permettre d’être au monde quand tout du monde menace dans cette incapacité à être soi. II faut inventer sans relâche, permettre aux enfants de se constituer pas à pas, bannir toute exigence qui les exposerait aux risques de l’anéantissement. Les intervenants bordent l’excès de ce « trop de tout » qui pulvérise.

Dans les ateliers, on n’apprend pas la musique, le jardinage ou la cuisine II s’agit de réfléchir, d’élaborer, de rendre possible une adresse à l’autre pour se constituer On découvre la séquence, le comptage, la main que meut une volonté. Au potager, on se creuse et se déterre. Devant la caméra de Mariana Otero les interactions permanentes que nécessite ce processus deviennent tangibles, l’expérimentation s’éprouve. La cinéaste et sa caméra qu’elle transporte en permanence, aux aguets de l’imprévisible qui va surgir, s’inscrivent donc dans ce dispositif le temps de leur présence

À l’instar des intervenants, des récits qu’ils entrecroisent au prisme de la clairvoyance collective, elle se maintient en retrait sans se soustraire, apporte la part d’elle même qui permet à l’autre de se redessiner « Les psychotiques ont un inconscient à ciel ouvert », écrivait Lacan. Dans le film de Mariana Otero, un langage cinématographique prend corps qui passionne et touche très profondément Entre les blés, Alysson court, court, court et rit de sa course."