28 FÉVRIER 2011

" L'immaturité érigée en morale, la politique de l'autruche en art de vivre, la courbe molle plutôt que l'angle aigu "

Pour son premier long-métrage, Roger Guillot traite d'un sujet délicat mais avec le désir, dit-il, "de prendre à bras le corps des personnages atypiques par leur obstination, et de plonger avec eux dans un univers de pure comédie..."

"A l'origine de ce projet, un constat tout bête : le temps passe, le temps a passé, les morts commencent autour de moi à se multiplier ; grands-parents, parents ou amis, les écrans protecteurs tombent.L'échéance est d'autant plus terrible qu'on n'en parle pas. Au nom du progrès, la médecine l'enveloppe dans un rationalisme pétrifiant qui déplace l'angoisse sans l'affronter. La religion convainc mal. Par crainte d'un vieillissement qui condamne au néant, on masque les effets du temps pour tenter de l'oublier : on s'accroche aux représentations rassurantes d'une jeunesse conquérante parce qu'éternelle. Pour être dans le coup, il faut rester jeune, de l'intérieur comme de l'extérieur. A la course contre le temps, une mode chasse l'autre : il s'agit de niveler et d'aplatir tout ce qui peut faire obstacle. L'immaturité érigée en morale, la politique de l'autruche en art de vivre, la courbe molle plutôt que l'angle aigu...Ces leurres ne me touchent plus.Face aux noms rayés de mon agenda, un seul recours: l'imaginaire. Un imaginaire dans lequel, depuis toujours, pour moi la mort entretient un contact d'autant moins morbide avec le vivant que celui-ci y puise en retour une partie de son sens et de sa combativité : rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. En quoi ? Je n'en sais rien car je n'ai ni la certitude, ni le savoir, mais seulement le doute et l'espérance.Admettre que l'on est mortel, qu'il y a une fin et que toute la vie tend vers ce moment-là, ce n'est pas renoncer à se battre mais le faire au contraire avec une vraie jubilation. Une jubilation qui se place délibérément ailleurs que dans les préoccupations morales, sociales et religieuses. Une jubilation qui a à voir avec ce qui n'appartient qu'à l'homme : l'amour, tout simplement l'amour.Point de pessimisme donc, mais le désir de prendre à bras le corps pour ce film des personnages atypiques par leur obstination, et de plonger avec eux dans un univers de pure comédie, dont leur force de tempérament constituera tout à la fois le moteur et le sujet.Pour rendre perceptible cette dimension, j'ai tenu à associer des comédiens que j'ai admirés pour la fidélité de leurs choix, et qui sont tous dépositaires d'une tradition différente. Qu'il s'agisse de Michel Vitold pour ses attaches sartriennes, de Micheline Dax pour sa fidélité au cabaret, ou de Michel Bouquet qui, parce qu'il a fait don de soi à la comédie, sait avec générosité tendre une main complice à la jeune génération pour lui faire partager l'héritage..., leur souffle et leur enthousiasme à tous, témoignent déjà de l'extraordinaire appétit que les personnages mettent à aller au bout d'eux-mêmes dans La Joie de vivre."

Roger GUILLOT