28 FÉVRIER 2011

"L’important pour mon film était que le couple fonctionne…"

"... Et ce n'est pas évident. J'ai eu de la chance." Le réalisateur Arnaud Viard et ses deux acteurs principaux Julie Gayet et Julien Boisselier débattent à bâtons rompus de l'aventure que fut pour eux trois "Clara et moi".

Quand on réalise son premier long métrage sur la base d’une histoire originale,comporte-t-il une part autobiographique ? Arnaud Viard : En fait, c’est le mélange des deux. A la fois très autobiographique et à la fois pas du tout. Au départ, j’étais guidé aussi par la volonté d’écrire une histoire simple, une comédie sentimentale, qui trace le portrait d’un jeune homme d’aujourd’hui, face à ses contradictions. Instinctivement, j’ai écrit ce rôle pour moi. J’étais dans la vie de ce personnage, un acteur qui n'est pas connu, mais qui fait des choses. Puis j’ai compris que faire un film est une succession de deuils. J’ai mis du temps à trouver "mon double" et je suis très heureux aujourd’hui de ne pas l’avoir joué. Pour moi, comme pour le personnage d’Antoine, le film m’a aidé à être adulte, à grandir au fur et à mesure de sa concrétisation. C’est pour cela que la dernière partie a été écrite un peu au jour le jour. J’ai fait confiance à l’intuition, en souhaitant que cela reste ouvert. Par ailleurs, si en écrivant, je m’exprimais à travers Antoine, je me suis rendu compte en tournant que je m’exprimais également à travers Clara. Sans doute parce qu’elle est plus courageuse.

Arnaud, vous êtes acteur, vous aviez pensé vous mettre en scène et puis vous vous êtes ravisé. Comment s’est passée la distribution des rôles principaux ?Arnaud Viard : Julie est la première actrice à qui j’ai proposé le rôle de Clara. C’était en l’an 2000. Elle avait dit oui. Mais le film mettant du temps à se faire, je suis parti sur d’autres idées… pour finalement lui faire une nouvelle proposition 3 mois avant le tournage. Ce fut une nouvelle rencontre. Je l’avais connue blonde, et je la retrouvais brune. Et ça m’allait très bien. La rencontre a été immédiate, car humainement nous sommes un peu de la même famille, je crois. Pas de faux semblant… (En plus, je l’ai trouvée belle quand nous nous sommes retrouvés). Au fur et à mesure de nos rendez-vous d’avant tournage, je découvrais une fille pleine de charme, enthousiaste, généreuse, vivante, aérienne et émouvante… Elle fait partie, pour moi, des actrices qui ont une certaine grâce. Pour Julien, je l’avais repéré dans un moyen métrage de Camille Brotes, et je m’étais dit que je n’avais jamais vu un acteur aussi émouvant, et aussi charmant. Je l’ai tout de suite reconnu comme un double possible et évident. J’aime sa sensibilité, son mystère et sa façon de ne pas être totalement acteur. Je lui ai fait une proposition en 2001 qu’il a refusé et je suis retourné le voir 2 mois avant le tournage lorsque j’avais eu l’accord de Julie. Et il a dit oui. L’important pour mon film était que le couple fonctionne… Et ce n’est pas si facile à trouver. Et puis le premier jour de tournage, c’était au Luxembourg, j’ai vu qu’ils bougeaient de façon harmonieuse dans le cadre… Il y avait une évidence entre eux. J’étais très heureux ce jour-là, je ne m’étais pas trompé. J’avais eu une intuition chanceuse, car trouver un couple qui fonctionne à l’écran reste quelque chose de très mystérieux.

Julien, pourquoi au tout début, avez-vous refusé ce rôle ?Julien Boisselier : On s'est longuement parlé au téléphone avec Arnaud. Après la lecture du scénario, je lui ai répondu que ça n’était pas le genre de chose que j’avais envie de faire pour le moment, c’était trop proche de moi. Je sentais que c’était un film où je devais me laisser faire et je n’étais pas prêt à me laisser filmer. J’ai eu peur. Et puis deux ans après il m’a rappelé : il avait re-écrit le personnage. J’ai été touché. Je me suis dis tiens, c’est quelqu’un qui est fidèle à ses convictions. Quand je vois le film aujourd’hui, je me dis que je l’ai fait au bon moment. J’étais prêt à me laisser aller à cette introspection.

Julie Gayet, Clara est-elle si éloignée de vous ? Comment vous êtes-vous approchée d’elle ?Julie Gayet : Ca fait un moment que je fais des films et je me suis rendue compte que je composais trop, alors de plus en plus j’ai essayé d’alléger les choses. Le plus difficile à faire au cinéma, c’est de ne rien jouer. Dans ce film, j’ai voulu ne rien faire du tout, être le plus proche de moi en ne forçant rien.

Qui est Clara au juste, une sainte, un fantasme ?Julie Gayet : Il y a quelque chose de mystique, caché dans un coin, qui la rend sainte, mais elle ne l’est pas. C’est une femme qui, avant de rencontrer Antoine, devait être assez réservée. Je voulais que ce soit quelqu’un qui ait du mal à se livrer et qui se révèle avec lui de la même manière que lui, le ferait avec elle.Arnaud Viard : Pour moi, elle incarne la beauté, la femme idéale, non pas dans ce qu’elle a d’inaccessible mais dans le sens où elle est forte, jamais victime et libre. C’est un mélange personnel de deux femmes qui ont traversé ma vie.Julie Gayet : C’est aussi typiquement féminin de s’oublier quand on tombe amoureuse et de ne vivre qu’à travers l’univers de l’homme qu’on aime.Julien Boisselier : C’est en voyant le film que je me suis rendu compte que Clara dit à Antoine qu’elle est amoureuse, lui ne le dit qu’à son pote. Au moment fort elle se livre, lui ne le dira qu’à la fin.

Pourquoi le personnage d’Antoine est-il acteur ?Arnaud Viard : Au départ, j'ai écrit ce scénario sans beaucoup de distance. Acteur moi-même, j'ai décidé qu'Antoine serait acteur. De plus, je voulais un héros dans l'action et dans l'introspection. Mais ce qui m'intéressait, c'était de raconter une histoire d'amour, peu importe la profession du héros. Ce qui est sûr, c'est que je voulais un personnage en quête de reconnaissance. Et "Acteur" est un métier qui exprime très bien cette soif de reconnaissance. Evidemment, une reconnaissance commence presque toujours par celle du père.Julien Boisselier : Antoine n’est pas spécialement dans l’attente. C’est quelqu’un d’actif dans la vie. Il est entouré d’amis qui l’aiment. Il y a l’image d’un beau parcours. Il ne s’est pas trompé là-dessus. Maintenant c’est vrai qu’il est comédien. Et quand tu es comédien tu es esclave du désir des autres. Il est dans l’attente d’un rôle, ça c’est clair. Quand tu as choisi ce métier et que tu ne travailles pas, tu attends. T’attends qu’on te propose, qu’on te désire.

Pour un premier film, une question de confiance en l’autre entre nécessairement en jeu…Julie Gayet : Avec ma petite expérience, je me suis rendue compte que c’est comme une histoire d’amour. C’est parce que l’on a souffert que l’on n’ose plus se donner. Quand je donne de moi à un réalisateur, je pense qu’il va savoir choisir. Et puis en voyant le résultat au montage et le choix du réalisateur, je suis parfois déçue, je me rends compte qu’on n’avait sans doute pas eu la même vision du personnage, qu’on n’avait pas assez parlé, ou qu’il n’avait pas compris ce que j’avais voulu faire. Du coup, après c’est dur de refaire confiance… Mais c’est ça notre métier, nous abandonner à l’univers de l’autre. C’est pour cela que c’est agréable de sortir d’un film comme celui d’Arnaud, de voir que c’est réussi.Julien Boisselier : Michel Bouquet disait préférer le théâtre parce qu’il était son propre metteur en scène. Dans un film comme celui-là, si le metteur en scène ne sait pas utiliser les bons regards ou les bonnes émotions, il trahit l’acteur en quelque sorte.Julie Gayet : J’ai plus besoin de rencontrer quelqu’un qui a un univers très fort et qui sait ce qu’il veut faire que de lire un scénario pour dire oui à un film.Julien Boisselier : Ce qui est intéressant, c’est ce qui naît de la distorsion entre ce que l’acteur amène et ce que le metteur en scène veut lui faire faire. Ce tiraillement, cette lutte entre la vue intérieure d’un acteur par rapport au metteur en scène et le questionnement des deux peut faire naître quelque chose. Si on est juste marionnettiste et marionnette cela ne fonctionne pas !Arnaud Viard : Ma méthode pour diriger les acteurs, c'est de les aimer. D'être bienveillant avec eux. D'installer un rapport de confiance. Pour qu'ils donnent et qu'ils s'ouvrent d'eux-mêmes sans avoir l'impression d'être ni volés, ni violés. Je crois que cela passe par des rendez-vous avant le tournage, où l'on se rencontre, et où d'ailleurs on parle de nous, de la vie et pas forcément du film. Mais je me rends compte également que tout cela est très fragile. Comme une relation amoureuse lorsqu'elle est naissante.Peut-on dire que c’est seulement un film sur la rencontre amoureuse ? Ou peut-on parler de l’échange de deux solitudes ou d’un manifeste sentimental ?Julie Gayet : Les trois à la fois. Dans le film, on dit qu’il ne faut pas avoir peur du ridicule, mais il ne faut pas avoir peur non plus de nos émotions. Et puis ce film parle aussi de la société : quand quelqu’un n’est pas bien, malade ou dépressif, on le fuit, comme si c’était contagieux. On a oublié qu’on était mortel.Julien Boisselier : C’est un film qui parle de la vie, on est dans quelque chose de très épuré. Un espace où l’on se confie. On arrive à s’éloigner du texte, à être dans les respirations, les regards et les émotions. Obligatoirement, sans qu’on nous force en quoi que ce soit, on s’identifie à ces gens là. On est dans la proposition. Le film montre plus qu’il n’explique.Julie Gayet : On peut parler d’un film épuré, j’ai eu l’impression comme Arnaud d’être à nu. Ne plus jouer, être dans des moments volés.

C’est aussi le portrait d’un homme incapable d’affronter ses responsabilités et d’accéder à ses sentiments, ses émotions ?Arnaud Viard : C’est vrai, on entre dans le film avec un personnage très immature. Mais à partir de la scène du livre de Rilke, que lui donne son père, Antoine s’ouvre et accède  ses émotions. C'est ce passage, cette ouverture qui revêt une part de beauté (je crois).Julie Gayet  : C’est le parcours d’un jeune homme qui devient homme. De la première scène, chez le psy, où il est drôle et léger mais où il est dans le "moi moi moi" il passera par le "Clara" pour aller vers "moi ou Clara ?" et finir par "Clara et moi". Lui, qui au début fuyait la vie par la légèreté, finit par y entrer.Julien Boisselier : Jouvet disait qu’au théâtre toute naissance est difficile. C’est un peu comme dans la vie. La mise en abîme est dans l’amour. On a un personnage qui est seul et qui va se rendre compte qu’il ne peut pas vivre sans quelqu’un d’autre. De la rencontre et de la fusion de deux êtres, va naître une troisième personne. C’est aussi simple que cela, mais pas si évident à raconter puisque c’est le drame de millions de personnes qui n’osent pas tomber amoureux par protection. On est malheureusement de moins en moins dans le sentiment. On est plus dans l’ironie. C’est dommage que le romantisme soit devenu un mot désuet.

Arnaud, la musique et les paroles de Bertrand Burgalat, de Philippe Katerine et de Benjamin Biolay accompagnent votre film. Que représente cette génération de musiciens et quelle couleur apportent-ils aux images ?Arnaud Viard : Pour moi c’est le romantisme, la grâce. Truffaut avait écrit à Souchon à propos de L’AMOUR EN FUITE : « Je suis très content de votre chanson. Le film est une lettre, votre chanson en est l’enveloppe ». J’ai conçu mon film un peu comme une chanson. Pour moi, la chanson est vraiment la poésie d’aujourd’hui… J’aime la chanson et j’aime les song writers…Quant à Benjamin, c'est l’un des artistes les plus talentueux et les plus touchants que j’ai rencontré. Nous lui avons organisé une projection du film. Et il a accepté de faire une musique originale. Je lui ai écrit une lettre en lui donnant des indications, je lui ai montré CÉSAR ET ROSALIE et puis il s’est emparé du film. Je suis très touché, et fier qu’il ait voulu faire la musique de mon premier film. Je me suis également tourné vers les gens qui sont autour de lui : Keren Ann, Coralie Clément, Dorval. En ce qui concerne la chanson sur les quais, je connaissaisun peu Bertrand Burgalat et il m’a donné carte blanche pour transformer sa chanson.

A propos de cette partie chantée sur les quais, est-elle une référence à la comédie musicale ?Arnaud Viard : Pour moi, la rencontre amoureuse a quelque chose de totalement magique. Cinématographiquement, la comédie musicale est presque la meilleure réponse à cette magie… Car une fois qu’ils se sont embrassés sur le quai, qu’est-ce qu’on fait ?… On les retrouve direct dans le lit !… C’est un peu juste. Au début, j’avais écrit qu’ils se mettaient à danser sur "La valse à 1000 temps" de Jacques Brel mais j’ai préféré adapter une chanson de Bertand Burgalat que j’aimais beaucoup, et qui s’appelle "Ma rencontre". La chanson est également un clin d’oeil au film The Shop around the corner de Lubitsch. Ce film est l’un des sommets de la comédie romantique.

Clara et moi est un peu le reflet de toute une génération ?Julien Boisselier : C'est un film de génération. Aujourd’hui, nous réalisons que nous avons d’autres aspirations que celles de nos parents. Nos convictions vont ailleurs. Nous sommes obligés de nous retrouver dans des groupes de gens, dans la famille, car nous manquons de points de repère. Notre idéologie est dans l’amitié et l’amour, pas dans le fait de prendre parti, d’être citoyen et d’avoir des responsabilités politiques. Et Arnaud parle bien de ces gens qui sont simplement justes dans les rapports humains.Julie Gayet : La génération dans laquelle nous sommes ne se rend pas compte de la chance qu’elle a. Parce que la société de consommation est devenue une nouvelle idéologie qui nous dit qu’il y a toujours mieux ailleurs, on oublie l’essentiel. Et peut-être qu’au lieu de simplifier, faire des lois, il faudrait se rendre compte de la complexité des choses perpétuellement en évolution. C’est pour ça que ce film est comme un manifeste.Arnaud Viard : J’aimerais que l’on puisse se retourner dans 10 ans sur cette histoire et que l’on se dise qu’elle cristallise une époque narcissique et très superficielle où les gens pansaient leurs blessures comme ils le pouvaient.