L’affaire du siècle
De sa découverte à sa mise aux enchères annulée, un documentaire retrace le destin mouvementé du tableau du Caravage "Judith décapitant Holopherne", avec le concours d’Éric Turquin, l’expert qui l’a authentifié, puis vendu. Entretien.
Évidence
“Le tableau Judith décapitant Holopherne, réalisé en 1607, est découvert à Toulouse en 2014 par un propriétaire qui vidait son grenier. Très vite, son commissaire-priseur Marc Labarbe contacte notre cabinet pour faire expertiser l’œuvre qu’il juge remarquable. Ma collègue Julie Ducher l’identifie rapidement comme un tableau perdu du Caravage, et retrouve une copie du XVIIe siècle dans un catalogue de Sebastian Schütze dédié au peintre : l’expertise la plus facile jamais réalisée. En voyant à mon tour ce chef-d’œuvre, je pense aussi immédiatement au Caravage, notamment en raison de son écriture, et de sa facture singulière, à grands coups de pinceaux de 80 centimètres. Je n’imaginais pas découvrir une telle œuvre dans ma vie d’expert.”
Secret
“Le Caravage déchaîne toujours les passions dans le monde de l’art. Je savais qu’à peine son nom prononcé, l’affaire se compliquerait. C’est pourquoi nous avons pris le temps d’authentifier ‘la Judith de Toulouse’ avec plusieurs spécialistes comme Keith Christiansen. Pendant deux ans, des encadreurs, des assureurs et des historiens de l’art ont travaillé dans le plus grand secret. J’ai même gardé le tableau dans ma chambre à coucher ! Personne n’a vendu la mèche jusqu’à l’annonce de la découverte, en 2016.”
Controverse
“Depuis 1951, toutes les redécouvertes du Caravage ont provoqué des polémiques. Un consensus aurait été presque suspect. Certains historiens de l’art attribuaient plutôt le tableau au copiste Louis Finson, d’autres prétendaient qu’il s’agissait d’un Caravage partiellement modifié. Beaucoup aussi étaient troublés par le visage de la vieille servante, avant son nettoyage. Le manque de documentation et l’absence de signature ont également suscité de vives discussions.”
Coup de théâtre
“Une fois sa découverte révélée, le tableau a été classé ‘trésor national’ par l’État français, ce qui a bloqué sa vente pendant trente mois. Ce délai passé, nous avons pu l’exporter à Milan, à Londres et enfin à New York. En juin 2019, la vente aux enchères prévue a été annulée, l'œuvre ayant été cédée de gré à gré à un acheteur étranger qui avait des moyens très supérieurs à ceux des autres acquéreurs potentiels. En la maintenant, nous aurions remporté un triomphe médiatique mais couru un risque financier, avec une vente autour de l’estimation basse (30 millions d’euros). Depuis, les esprits se sont calmés. Les historiens de l’art, connaissant la personnalité de l’acheteur, savent que le tableau est actuellement en restauration pour être exposé dans un grand musée.”
Propos recueillis par Hélène Porret