28 JANVIER 2021

L’autre Modigliani

À l’occasion du centenaire de sa mort, un beau documentaire invite à redécouvrir l’œuvre du peintre italien, en marge d’une exposition* programmée au LaM. Aperçu avec Marie-Amélie Senot, attachée de conservation au musée de Villeneuve d’Ascq.

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Pourquoi Amedeo Modigliani fascine-t-il autant ? 

Marie-Amélie Senot : Nous sommes toujours surpris par l’engouement qu’il suscite chez les visiteurs de toutes les nationalités. Dans sa courte carrière, Modigliani s’est essentiellement attaché aux visages. Il y a ceux de ses amis artistes, comme Jacques Lipchitz, Diego Rivera, Pablo Picasso, et ceux de personnages plus ordinaires, comme un petit garçon ou une nourrice. Leur humanité touche. On a envie de dialoguer avec eux. Le mystère qui se dégage de ces figures, dont les yeux sont parfois sans pupille, intrigue également. À Nice, l’artiste Léopold Survage a demandé à Modigliani pourquoi il lui avait peint un œil avec une pupille et l’autre sans. Ce dernier lui aurait répondu qu’avec le premier il regardait le monde, et avec le second, en lui-même.

 

Le documentaire révèle que le peintre était aussi sculpteur, une facette méconnue...

Marie-Amélie Senot : Dans le catalogue raisonné de Ceroni de 1972, on dénombre 337 peintures et une bonne vingtaine de sculptures, lesquelles sont réalisées entre 1911 et 1914. Durant ces quatre années, Modigliani se revendique comme sculpteur et tient à ce terme. Il se forme sur le tas avec Constantin Brancusi. Contrairement à Auguste Rodin – qui selon lui faisait de la “gadoue”–, il veut travailler la pierre en taille directe, ce qui produit beaucoup de poussière et irrite ses poumons de tuberculeux. Pour ces raisons de santé, entre autres, il est contraint d’abandonner la sculpture. La période va toutefois irriguer sa pratique picturale, comme on peut le voir dans le Nu assis à la chemise. En se servant de son pinceau à l’envers, l’artiste grave les cheveux de son modèle dans la matière fraîche de la peinture.

 

Quatre ans après “Amedeo Modigliani, l’œil intérieur”, pourquoi le LaM lui consacre-t-il une nouvelle exposition ?

Marie-Amélie Senot : Ce nouvel accrochage est le résultat d’une étude menée depuis 2018 avec le centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) sur vingt-cinq peintures et trois sculptures des collections publiques françaises. Ces œuvres ont minutieusement été examinées et analysées comme on le voit dans le documentaire. Grâce à des techniques de pointe, nous avons pu aller au-delà de ce qui est visible à l’œil nu et découvrir les méthodes de création du peintre. C’est passionnant de percevoir la musicalité de son geste. Nous avons aussi mis au jour d’autres tableaux sous certaines toiles. Tout cela met en valeur l’incroyable technique de Modigliani, dont l’étiquette d’artiste maudit a longtemps occulté une part du talent.

 

Propos recueillis par Hélène Porret 

 

*ARTE est partenaire de l’exposition “Les secrets de Modigliani”, qui s’ouvre le 19 février 2021 à Villeneuve d’Ascq, dans la métropole lilloise.