26 JANVIER 2021

Le cinéaste magicien

Peu s’en est fallu que l’œuvre de Georges Méliès ne disparaisse à jamais. Retour avec Laurent Mannoni, directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française et intervenant du documentaire Le mystère Méliès, sur le parcours de l’un des pères fondateurs du cinéma.

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Comment résumer Georges Méliès ?

Laurent Mannoni : Il a fusionné le cinéma, tout juste balbutiant, et la magie, un art plus ancien qu’il pratiquait bien avant de réaliser des films, créant ainsi les premiers effets spéciaux. Il avait compris la portée spectaculaire du septième art, qui lui permettait de simplifier les techniques complexes alors mises en œuvre dans ses théâtres à la fin du XIXe siècle.

 

Quelle était sa méthode de travail ?

Laurent Mannoni : Méliès a tenu toute sa vie à être indépendant, au point de tout faire lui-même : la mise en scène, le jeu, les décors, la distribution des films, la construction de son studio… Un cas unique dans l’histoire du septième art. Le problème, comme le montrent mon ouvrage* et le documentaire, c’est que l’industrie du cinéma croît à une vitesse extraordinaire à partir des années 1900. Des majors françaises se créent, développent des studios gigantesques, des réseaux de distribution, et engagent des réalisateurs. Parmi eux, certains ne pensent qu’à piller l’œuvre de Méliès, notamment Ferdinand Zecca, son principal rival chez Pathé, qui va passer sa vie à l’espionner. Méliès va payer cher son obsession d’artisanat et finira par se faire manger par cette industrie énorme.

 

Quel rôle a joué la Cinémathèque dans la redécouverte de l’œuvre de Georges Méliès ?

Laurent Mannoni : Son fondateur, Henri Langlois, a eu la chance de connaître Méliès quand il était dans sa maison de retraite à Orly. Il s’est mis en tête de reconstituer le puzzle terriblement dispersé de sa filmographie. Lorsque Méliès meurt, en 1938, sa veuve, Jeanne d’Alcy, a offert à la Cinémathèque sa première caméra, un objet unique au monde. La petite-fille de Georges Méliès, Madeleine, a aussi réalisé un travail merveilleux pour retrouver ce patrimoine. Sa collection a pu être acquise par l’État, et a été réunie en 2004 avec celle de Langlois. Un chantier de restauration a démarré en lien avec Lobster Films, le CNC et la Bibliothèque du Congrès aux États-Unis. Nous souhaitons désormais, avec le musée Méliès, censé ouvrir le 13 janvier, recontextualiser son œuvre, pour rendre hommage à ce cinéaste magicien.

 

Peut-on encore espérer retrouver d’autres films ?

Laurent Mannoni : Cela va devenir de plus en plus difficile, car tous étaient impressionnés sur de la pellicule en nitrate de cellulose, qui tombe en décomposition ou prend feu au fil du temps. Sur les 520 films que Méliès a tournés de 1896 à 1913, 270 ont été retrouvés. Ce chiffre n’a pas bougé depuis quelques années. Mais on ne sait jamais. Beaucoup d’œuvres ont été découvertes dans des conditions rocambolesques. Madeleine racontait qu’elle avait retrouvé une copie de Jeanne d’Arc, peinte à la main, dans le poulailler d’un forain ! En 2017, nous avons pu sauver le Robinson Crusoë de 1902. La copie était dans la cheminée d’un collectionneur…

 

 Propos recueillis par Augustin Faure

 

* Georges Méliès, Flammarion, 2020