15 MARS 2021

Le combat de Sasha

Le cinéaste Sébastien Lifshitz ("Les invisibles", "Adolescentes") a suivi pendant un an Sasha, une petite fille de 7 ans, née garçon. Pour faire accepter sa différence, elle mène une lutte quotidienne, soutenue par sa famille. Un émouvant portrait, salué à la dernière Berlinale. Entretien.

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Comment a émergé le projet d’un film autour de Sasha ?

Sébastien Lifshitz : Il y a quelques années, j’ai réalisé un film sur Bambi, une des premières femmes transgenres françaises. Elle m’a raconté que, dès l’âge de 3 ans, elle a ressenti au plus profond d’elle qu’elle était une petite fille. Ça m’avait interpellé parce qu’en général, lorsqu’on aborde la transidentité, on l’assimile plutôt à l’adolescence, à la puberté, au moment où le corps change. Le témoignage de Bambi m’a fait prendre conscience que cela pouvait apparaître beaucoup plus tôt dans la vie d’une personne trans. Il m’a alors semblé essentiel de raconter l’histoire d’un enfant d’aujourd’hui, qui vivrait ce même trouble identitaire, pour mieux faire comprendre ces questions.

 

De quelle façon avez-vous rencontré Sasha et sa famille ?

Sébastien Lifshitz : Trouver une enfant transgenre semblait relever de la mission impossible. J’ai eu l’idée de passer une annonce sur un forum de discussion sur Internet, créé par des parents ayant des enfants en dysphorie de genre. Karine, la maman de Sasha, m’a répondu en me disant qu’elle s’interrogeait sur la pertinence de raconter l’histoire de son enfant. Elle a souhaité me rencontrer. Ce premier entretien s’est avéré bouleversant. Une confiance et une affection immédiates se sont nouées entre nous. Lors d’un deuxième rendez-vous, j’ai pu rencontrer Sasha et sa famille.

 

Vous dépeignez cette famille comme un véritable cocon de bienveillance...

Sébastien Lifshitz : C’est une famille extrêmement soudée, solidaire. Un amour inconditionnel les lie les uns aux autres et vous le recevez sans filtre. C’est probablement dû à ce que vit Sasha. Sa famille s’est resserrée autour d’elle pour mieux la protéger. C’est à l’extérieur que la menace se fait sentir, que ce soit à l’école, au cours de danse ou dans la rue.

 

Que signifie pour vous de filmer à hauteur d’enfant ?

Sébastien Lifshitz : C’était fondamental, et j’ai essayé d’y veiller pendant tout le tournage. Le film adopte le plus possible le point de vue de Sasha. La caméra l’accompagne au plus près, à sa hauteur, pour créer ce lien d’empathie permettant de mieux comprendre ce qu’elle traverse.

 

En quoi la rencontre avec la pédopsychiatre a-t-elle été déterminante ?

Sébastien Lifshitz : D’une humanité incroyable avec Sasha, elle l’aide à mettre des mots sur ce qu’elle vit et ressent et elle ne brusque rien. Si Sasha n’a rien à dire, ce n’est pas un problème. Ce travail d’accompagnement s’étale sur des années. Mais il n’y a aucune obligation, tout est réversible. La volonté pédagogique du film est délibérée. Au-delà de la transidentité de Sasha, il parle de ce que c’est que d’être un enfant différent : comment grandir et se construire lorsqu’on n’est pas dans la norme ?