19 JANVIER 2018

Le Monde - Catherine Vincent: À ciel ouvert

"... un film sur la radicale différence de l’Autre. Sur ces enfants et leur souffrance, il porte un regard libre, créateur, résolument au-dessus des polémiques. Or les dissensions, voire les passions ne manquent pas autour de l’autisme (...) Mais le film de Mariana Otero, par ce qu’il donne à voir, à ressentir et à penser, se situe radicalement ailleurs. En un lieu plus dérangeant, plus essentiel. Comme les précédents longs-métrages de cette cinéaste confirmée – La Loi du collège (1994), Histoire d’un secret (2003), Entre nos mains (2010) –, ce que dit surtout A ciel ouvert, c’est que la simplicité des situations humaines n’existe pas. Dans les troubles mentaux moins qu’ailleurs. Faute de structures suffisantes dans notre pays, le Courtil, créé il y a trente ans à proximité de la frontière franco-belge, accueille majoritairement des enfants français (...) ce n’est pas un hasard si la réalisatrice, qui cherchait un endroit où elle pourrait « comprendre quelque chose de la folie », a décidé d’installer sa caméra dans cet établissement. « J’avais vu plusieurs lieux de vie pour adultes, raconte-t-elle. Le regard porté sur les résidents était bienveillant, très respectueux, mais j’avais l’impression que l’on restait à l’orée de leur singularité. Je ne trouvais pas l’entrée. Un jour, on m’a parlé du Courtil. Au départ, je n’étais pas enthousiaste : travailler avec des enfants me gênait un peu, et la psychanalyse, pour moi, cela se passait sur un divan… Mais je suis quand même allée voir. J’ai eu une réunion avec les responsables thérapeutiques, et la première question que je leur ai posée a été celle-ci : “Pourquoi ne parlez-vous jamais de handicapés, contrairement à tous les autres lieux que j’ai visités ?” Ils m’ont expliqué que, pour eux, il ne s’agissait pas de handicapés mais d’enfants qui avaient une structure singulière, et que leur travail était de comprendre cette structure. Chacun de ces enfants avait en quelque sorte une langue privée, contrairement à nous qui avons une langue commune. Pour les aider à avancer dans la vie, il fallait d’abord comprendre cette langue. C’était exactement ce que je cherchais. » Au printemps 2011, Mariana Otero commence les repérages. « Au départ, je ne comprenais rien. Ni aux enfants ni au travail. Puis, petit à petit, l’invisible est devenu visible. Au-delà des comportements, j’ai commencé à comprendre la logique de ces enfants, et ce que les intervenants faisaient avec eux. A partir de là, j’ai su que je pouvais faire le film, en invitant le spectateur à parcourir le même chemin que moi. » (...) celui-ci a demandé près de trois ans de travail (...) « Si j’avais vu ce film il y a dix ans, j’aurais peut-être gagné dix ans de compréhension de mon fils », lui a dit une mère lors d’un débat public suivant la projection du film. Pour qui veut voir le monde par les yeux des autres, c’est la plus belle des récompenses."

"... un film sur la radicale différence de l’Autre. Sur ces enfants et leur souffrance, il porte un regard libre, créateur, résolument au-dessus des polémiques. Or les dissensions, voire les passions ne manquent pas autour de l’autisme (...) Mais le film de Mariana Otero, par ce qu’il donne à voir, à ressentir et à penser, se situe radicalement ailleurs. En un lieu plus dérangeant, plus essentiel. Comme les précédents longs-métrages de cette cinéaste confirmée – La Loi du collège (1994), Histoire d’un secret (2003), Entre nos mains (2010) –, ce que dit surtout A ciel ouvert, c’est que la simplicité des situations humaines n’existe pas. Dans les troubles mentaux moins qu’ailleurs.

Faute de structures suffisantes dans notre pays, le Courtil, créé il y a trente ans à proximité de la frontière franco-belge, accueille majoritairement des enfants français (...) ce n’est pas un hasard si la réalisatrice, qui cherchait un endroit où elle pourrait « comprendre quelque chose de la folie », a décidé d’installer sa caméra dans cet établissement. « J’avais vu plusieurs lieux de vie pour adultes, raconte-t-elle. Le regard porté sur les résidents était bienveillant, très respectueux, mais j’avais l’impression que l’on restait à l’orée de leur singularité. Je ne trouvais pas l’entrée. Un jour, on m’a parlé du Courtil. Au départ, je n’étais pas enthousiaste : travailler avec des enfants me gênait un peu, et la psychanalyse, pour moi, cela se passait sur un divan… Mais je suis quand même allée voir. J’ai eu une réunion avec les responsables thérapeutiques, et la première question que je leur ai posée a été celle-ci : “Pourquoi ne parlez-vous jamais de handicapés, contrairement à tous les autres lieux que j’ai visités ?” Ils m’ont expliqué que, pour eux, il ne s’agissait pas de handicapés mais d’enfants qui avaient une structure singulière, et que leur travail était de comprendre cette structure. Chacun de ces enfants avait en quelque sorte une langue privée, contrairement à nous qui avons une langue commune. Pour les aider à avancer dans la vie, il fallait d’abord comprendre cette langue. C’était exactement ce que je cherchais. »

Au printemps 2011, Mariana Otero commence les repérages. « Au départ, je ne comprenais rien. Ni aux enfants ni au travail. Puis, petit à petit, l’invisible est devenu visible. Au-delà des comportements, j’ai commencé à comprendre la logique de ces enfants, et ce que les intervenants faisaient avec eux. A partir de là, j’ai su que je pouvais faire le film, en invitant le spectateur à parcourir le même chemin que moi. » (...) celui-ci a demandé près de trois ans de travail (...) « Si j’avais vu ce film il y a dix ans, j’aurais peut-être gagné dix ans de compréhension de mon fils », lui a dit une mère lors d’un débat public suivant la projection du film. Pour qui veut voir le monde par les yeux des autres, c’est la plus belle des récompenses."