03 JUIN 2017

Le Monde - Jacques Mandelbaum: La Famille Wolberg

" Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté" : c'est ce que pensait le théoricien marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), empruntant cette belle sentence à l'écrivain Romain Rolland. Tous ceux qui s'y reconnaissent seront nécessairement touchés, émus, peut-être bouleversés par La Famille Wolberg (...) car il n'est pas si fréquent dans le cinéma indépendant de consacrer une oeuvre à la famille sans éprouver l'envie ou la nécessité de la massacrer, sur le plan symbolique ou réel. Ce refus de ce qui n'est trop souvent qu'une complaisance, ce mépris souverain de la pose antibourgeoise de l'artiste demandent un certain courage (...) enfin, ce film dévoré par l'inquiétude regorge, paradoxalement, de vitalité et de fantaisie. Un de ces films, si rares, qui vous donnent envie de croquer l'existence comme un mort de faim en sortant de la salle. On aura ainsi défini l'un des traits essentiels de La Famille Wolberg : son excentricité. Non dans l'acception tonitruante de ce terme, mais dans la surprenante douceur, la suave mélancolie de son décalage. C'est à cette aune qu'est dessiné le portrait du personnage principal, Simon Wolberg, génialement interprété par l'acteur belge François Damiens. Juif ashkénaze profilé sur fond de désastre lointain, son obsession est celle d'un fils de rescapé rattrapé par la paternité : survivre avec sa famille, tenir ensemble coûte que coûte. Pas pratique quand on est atteint d'un cancer aux poumons, que sa femme caresse encore le souvenir d'un ex-amant goy, que sa fille aînée s'apprête à prendre la poudre d'escampette, que son vieux père affecte une insouciance désarmante, et que son beau-frère, horripilant bohème gratteur de guitare, vient lui chanter le grand vent de la liberté jusque dans ses pénates (...) Silhouette sombre marchant allégrement contre le vent, Simon oscille entre violence et délicatesse, austérité et loufoquerie (...) la mise en scène du film joue une partition insolite, hétérodoxe, à la sourdine subversive. Héros juif, acteur wallon, village béarnais, design pop, musique soul rarissime et déchirante, mélo gai... A se demander par quel miracle tout cela tient debout. Sans doute grâce à la conscience aiguë qu' "il n'y a de stable qu'une violence secrète qui bouleverse toute chose", comme le dit le beau-frère Alexandre, en partance sur un quai de gare. Mais aussi grâce à la croyance que la grandeur de l'homme est de se mettre, à l'instar de Simon, corps et âme en travers de ce mouvement. Faire oeuvre comme on fait feu de tout bois, au risque de la ruine : telle est l'élégance émouvante, la force joyeuse du personnage et du film."

" Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté" : c'est ce que pensait le théoricien marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), empruntant cette belle sentence à l'écrivain Romain Rolland. Tous ceux qui s'y reconnaissent seront nécessairement touchés, émus, peut-être bouleversés par La Famille Wolberg (...) car il n'est pas si fréquent dans le cinéma indépendant de consacrer une oeuvre à la famille sans éprouver l'envie ou la nécessité de la massacrer, sur le plan symbolique ou réel. Ce refus de ce qui n'est trop souvent qu'une complaisance, ce mépris souverain de la pose antibourgeoise de l'artiste demandent un certain courage (...) enfin, ce film dévoré par l'inquiétude regorge, paradoxalement, de vitalité et de fantaisie. Un de ces films, si rares, qui vous donnent envie de croquer l'existence comme un mort de faim en sortant de la salle.

On aura ainsi défini l'un des traits essentiels de La Famille Wolberg : son excentricité. Non dans l'acception tonitruante de ce terme, mais dans la surprenante douceur, la suave mélancolie de son décalage. C'est à cette aune qu'est dessiné le portrait du personnage principal, Simon Wolberg, génialement interprété par l'acteur belge François Damiens. Juif ashkénaze profilé sur fond de désastre lointain, son obsession est celle d'un fils de rescapé rattrapé par la paternité : survivre avec sa famille, tenir ensemble coûte que coûte.

Pas pratique quand on est atteint d'un cancer aux poumons, que sa femme caresse encore le souvenir d'un ex-amant goy, que sa fille aînée s'apprête à prendre la poudre d'escampette, que son vieux père affecte une insouciance désarmante, et que son beau-frère, horripilant bohème gratteur de guitare, vient lui chanter le grand vent de la liberté jusque dans ses pénates (...) Silhouette sombre marchant allégrement contre le vent, Simon oscille entre violence et délicatesse, austérité et loufoquerie (...)

la mise en scène du film joue une partition insolite, hétérodoxe, à la sourdine subversive. Héros juif, acteur wallon, village béarnais, design pop, musique soul rarissime et déchirante, mélo gai... A se demander par quel miracle tout cela tient debout. Sans doute grâce à la conscience aiguë qu' "il n'y a de stable qu'une violence secrète qui bouleverse toute chose", comme le dit le beau-frère Alexandre, en partance sur un quai de gare. Mais aussi grâce à la croyance que la grandeur de l'homme est de se mettre, à l'instar de Simon, corps et âme en travers de ce mouvement.

Faire oeuvre comme on fait feu de tout bois, au risque de la ruine : telle est l'élégance émouvante, la force joyeuse du personnage et du film."