03 JUIN 2017

Le Monde - Jean-Michel Frodon: Sauve-moi

" Voici un film qui part de très loin. Il part du fond de cette France profonde, celle de la misère dont on ne parle pas, celle du RMI, du travail au noir et d'une longue tradition de solidarité qui ne sait plus selon quels repères fonctionner. Il part des quartiers et des rues de Roubaix. Il part d'une initiative d'écriture collective menée par Ricardo Montserrat avec des chômeurs (...), qui engendra d'abord un livre, publié par la « Série noire », Ne crie pas (...) Le scénario a le bon goût de ne pas boucler les scènes, de ne pas justifier les apparitions et disparitions des protagonistes ni expliciter leurs motivations. Ni déterminisme sociologique ni machinerie psychologique ne viennent soutenir (comme la corde le pendu) le film. Du coup, celui-ci ne cesse de s'ouvrir aux vents de la fiction, comme autant de paris sur du possible. Ainsi, il rend une place légitime à ces comédiens, (...) excellents (...) : Roschdy Zem, qui ne cesse de se bonifier, Karole Rocher, étonnante de justesse violente, à la fois gourmande et dure, Jean-Roger Milo, impressionnant, et Rona Hartner, qui dépasse cette exagération d'elle-même qui semblait être son seul registre pour atteindre à une douceur de fantôme irrémédiablement de passage. Le film passe à travers les citations, les références - Ken Loach, bien sûr, auquel la débrouille prolétaire et la brutalité des privés recouvreurs de dettes fait songer, ou La Promesse, des frères Dardenne (...) ... étrange séquence d'une balade en forêt qui réunit et sépare tous les personnages, à son côté à la fois décousu et intense, mystérieux comme aux franges d'un conte un peu effrayant, tissé d'élans, de signes et de mouvements comme une danse. Quelque chose qui n'appartient qu'au cinéma a permis au film, en le déliant de sa « mission », de finalement et paradoxalement l'accomplir. Aussi improbablement que la rieuse scène avec flics, tout droit sortis du burlesque (et sans doute d'observations réelles), par laquelle se clot l'histoire."

" Voici un film qui part de très loin. Il part du fond de cette France profonde, celle de la misère dont on ne parle pas, celle du RMI, du travail au noir et d'une longue tradition de solidarité qui ne sait plus selon quels repères fonctionner. Il part des quartiers et des rues de Roubaix. Il part d'une initiative d'écriture collective menée par Ricardo Montserrat avec des chômeurs (...), qui engendra d'abord un livre, publié par la « Série noire », Ne crie pas  (...)

Le scénario a le bon goût de ne pas boucler les scènes, de ne pas justifier les apparitions et disparitions des protagonistes ni expliciter leurs motivations. Ni déterminisme sociologique ni machinerie psychologique ne viennent soutenir (comme la corde le pendu) le film. Du coup, celui-ci ne cesse de s'ouvrir aux vents de la fiction, comme autant de paris sur du possible.

Ainsi, il rend une place légitime à ces comédiens, (...) excellents (...) : Roschdy Zem, qui ne cesse de se bonifier, Karole Rocher, étonnante de justesse violente, à la fois gourmande et dure, Jean-Roger Milo, impressionnant, et Rona Hartner, qui dépasse cette exagération d'elle-même qui semblait être son seul registre pour atteindre à une douceur de fantôme irrémédiablement de passage.

Le film passe à travers les citations, les références - Ken Loach, bien sûr, auquel la débrouille prolétaire et la brutalité des privés recouvreurs de dettes fait songer, ou La Promesse, des frères Dardenne (...)

... étrange séquence d'une balade en forêt qui réunit et sépare tous les personnages, à son côté à la fois décousu et intense, mystérieux comme aux franges d'un conte un peu effrayant, tissé d'élans, de signes et de mouvements comme une danse. Quelque chose qui n'appartient qu'au cinéma a permis au film, en le déliant de sa « mission », de finalement et paradoxalement l'accomplir. Aussi improbablement que la rieuse scène avec flics, tout droit sortis du burlesque (et sans doute d'observations réelles), par laquelle se clot l'histoire."