03 JUIN 2017

Le Monde - Noémie Luciani: Gangs of Wasseypur : Partie 1

" Ambitieux, Anurag Kashyap l'est tout autant : avec Gangs of Wasseypur, il fait de cette histoire violente une saga de plus de cinq heures, découpée en deux épisodes (...). Réécriture à peine déguisée (certains noms, comme celui du politicien Rhamadir Singh, ont été conservés) des souvenirs du coscénariste Zeishan Quadri, le film a déchaîné les passions dès l'état de projet, et pour cause : c'était la première fois que l'on accordait une telle ampleur de moyens et de budget (45 millions de dollars) à une production qui ne comptait au générique aucune des stars emblématiques du cinéma bollywoodien. Lors de sa sortie indienne (...), Gangs of Wasseypur a généré débats et tensions au point que les exploitants de la ville de Dhanbad, non loin de Wasseypur, soient dans l'incapacité de projeter le film. Les protestations fusent : de nombreuses voix, soutenues par certaines personnalités politiques, se sont élevées pour accuser Anurag Kashyap de travestir la vérité, de donner une image de la région de Wasseypur - majoritairement musulmane - dégradante et potentiellement dangereuse. Les appels au boycottage résonnent, et l'on invite les révoltés à porterun brassard noir. C'est que le film d'Anurag Kashyap ne fait guère dans la nuance. Violent pour les nécessités du récit, il l'est aussi par désir d'orchestrer avec tout le brio possible d'amples scènes d'affrontements. Ralentis lyriques, mouvements de caméra vertigineux, musique entêtante, plans serrés sur les visages crispés par l'angoisse, la haine, la détermination aveugle : toutes les techniques sont bonnes pour donner à l'histoire un souffle épique empruntant parfois plus aux grandes heures du western qu'à celles du film de gangsters, même si Gangs of Wasseypur semble bien se rêver en version indienne d'Election, dans lequel Johnnie To exposait avec maestria les passations de pouvoir au sein de la mafia de Hongkong. Cette débauche de moyens, qui contribue à la séduction du film, est aussi pertinente d'un autre point de vue. Car tous ces fils de gangsters sont aussi fils de Bollywood. Nourris dès leur plus jeune âge aux effusions théâtrales de la plus grande industrie cinématographique du monde, ces hommes - et certaines de ces femmes - se rêvent en héros du grand écran. Une arme à la main, les vrais gangsters de Wasseypur s'imaginent au centre de la scène, filmés au ralenti, dans la lumière des projecteurs. Ces artifices que le réalisateur prête à ses personnages les poussent à la violence avec autant de force que la vengeance, le pouvoir ou l'argent."

" Ambitieux, Anurag Kashyap l'est tout autant : avec Gangs of Wasseypur, il fait de cette histoire violente une saga de plus de cinq heures, découpée en deux épisodes (...). Réécriture à peine déguisée (certains noms, comme celui du politicien Rhamadir Singh, ont été conservés) des souvenirs du coscénariste Zeishan Quadri, le film a déchaîné les passions dès l'état de projet, et pour cause : c'était la première fois que l'on accordait une telle ampleur de moyens et de budget (45 millions de dollars) à une production qui ne comptait au générique aucune des stars emblématiques du cinéma bollywoodien.

Lors de sa sortie indienne (...), Gangs of Wasseypur a généré débats et tensions au point que les exploitants de la ville de Dhanbad, non loin de Wasseypur, soient dans l'incapacité de projeter le film. Les protestations fusent : de nombreuses voix, soutenues par certaines personnalités politiques, se sont élevées pour accuser Anurag Kashyap de travestir la vérité, de donner une image de la région de Wasseypur - majoritairement musulmane - dégradante et potentiellement dangereuse. Les appels au boycottage résonnent, et l'on invite les révoltés à porterun brassard noir.

C'est que le film d'Anurag Kashyap ne fait guère dans la nuance. Violent pour les nécessités du récit, il l'est aussi par désir d'orchestrer avec tout le brio possible d'amples scènes d'affrontements. Ralentis lyriques, mouvements de caméra vertigineux, musique entêtante, plans serrés sur les visages crispés par l'angoisse, la haine, la détermination aveugle : toutes les techniques sont bonnes pour donner à l'histoire un souffle épique empruntant parfois plus aux grandes heures du western qu'à celles du film de gangsters, même si Gangs of Wasseypur semble bien se rêver en version indienne d'Election, dans lequel Johnnie To exposait avec maestria les passations de pouvoir au sein de la mafia de Hongkong.

Cette débauche de moyens, qui contribue à la séduction du film, est aussi pertinente d'un autre point de vue. Car tous ces fils de gangsters sont aussi fils de Bollywood. Nourris dès leur plus jeune âge aux effusions théâtrales de la plus grande industrie cinématographique du monde, ces hommes - et certaines de ces femmes - se rêvent en héros du grand écran. Une arme à la main, les vrais gangsters de Wasseypur s'imaginent au centre de la scène, filmés au ralenti, dans la lumière des projecteurs. Ces artifices que le réalisateur prête à ses personnages les poussent à la violence avec autant de force que la vengeance, le pouvoir ou l'argent."