03 JUIN 2017

Le Monde - Thomas Sotinel: Le Jour des Corneilles

"Le Jour des corneilles" : et, d'un geste, ils ranimèrent les disparus Il fut un temps, avant le numérique, où presque tous les longs-métrages d'animation étaient des dessins animés. Il y a dans ce geste - douer de mouvement une figure à deux dimensions par un geste de la main - une part de magie qui a été engloutie dans les brumes de pixels des grands studios américains. Le Jour des corneilles donne une nouvelle vie au dessin animé sans pourtant ressembler à ses ancêtres. C'est un film ambitieux, qui veut raconter une histoire tragique aux enfants, mêlant le naturalisme et la fantaisie, la chronique paysanne et les histoires de fantômes. C'est enfin un prodige graphique, la transmutation d'une vieille tradition picturale en moment de cinéma. Le scénario d'Amandine Taffin est adapté d'un roman du Québécois Jean-François Beauchemin. Il raconte l'histoire d'un nourrisson enlevé par un homme énorme et sauvage - un ogre - qui, après l'avoir abandonné quelques heures dans la forêt, finit par le reprendre et l'élever, à l'écart du genre humain. Le père Courge et l'enfant sont des créatures des bois. Le garçon commerce avec des êtres aux corps humains et aux têtes d'animaux, dont on comprend bientôt qu'ils sont l'incarnation des âmes des disparus. Bien sûr, malgré l'interdit érigé par son père, son chemin va croiser celui d'un humain, ce qui le mènera dans un village voisin de la forêt, jusqu'à faire remonter à la surface le drame qui a poussé son père à s'exiler. Cette trame classique est brodée d'incursions dans un fantastique animiste, qui donne une personnalité aux lieux et aux choses. L'animation se prête bien à ce genre d'univers qui peut métamorphoser sans effort les visages et les corps, jeter le doute sur leur nature. Hayao Miyazaki a bâti son oeuvre sur cette double essence du monde visible. D'une certaine manière, Jean-Christophe Dessaint, qui signe ici son premier long-métrage, propose un reflet européen du monde chamanique construit par le vieux maître japonais. Le traitement souvent grotesque des personnages (et parfois mièvre, la figure féminine pose décidément un défi quasi insurmontable au cinéma d'animation) rappelle lui aussi l'"anime" japonais. Jeux de lumières complexes Les bois et les champs procèdent d'une tout autre histoire, qui remonte aux paysagistes européens du XIXe siècle. L'attention accordée aux décors naturels porte ses fruits : on dirait presque que Le Jour des corneilles a été tourné en extérieurs. Traités sans souci maniaque des contours, mais avec des jeux de lumières complexes qui traduisent aussi bien le passage des heures que celui des saisons, ces paysages sylvestres ou campagnards donnent à l'univers du film une vérité qui s'étend aux personnages les plus fantasmagoriques comme aux situations plus convenues. Un dernier mot sur les voix. Elles ont été enregistrées au tout début du long processus de fabrication du film, il y a presque trois ans. Jean Reno a prêté la sienne au père Courge, Lorant Deutsch au fils, Isabelle Carré à l'héroïne. Celle-ci est la fille d'un médecin de campagne humaniste dont les intonations seront sans doute familières aux cinéphiles : Claude Chabrol a enregistré ce texte peu de temps avant sa mort, le 12 septembre 2010. Ce fut sa dernière contribution au cinéma, c'est aussi une dernière raison d'aller voir Le Jour des corneilles.

"Le Jour des corneilles" : et, d'un geste, ils ranimèrent les disparus

 

Il fut un temps, avant le numérique, où presque tous les longs-métrages d'animation étaient des dessins animés. Il y a dans ce geste - douer de mouvement une figure à deux dimensions par un geste de la main - une part de magie qui a été engloutie dans les brumes de pixels des grands studios américains.

Le Jour des corneilles donne une nouvelle vie au dessin animé sans pourtant ressembler à ses ancêtres. C'est un film ambitieux, qui veut raconter une histoire tragique aux enfants, mêlant le naturalisme et la fantaisie, la chronique paysanne et les histoires de fantômes. C'est enfin un prodige graphique, la transmutation d'une vieille tradition picturale en moment de cinéma.

Le scénario d'Amandine Taffin est adapté d'un roman du Québécois Jean-François Beauchemin. Il raconte l'histoire d'un nourrisson enlevé par un homme énorme et sauvage - un ogre - qui, après l'avoir abandonné quelques heures dans la forêt, finit par le reprendre et l'élever, à l'écart du genre humain. Le père Courge et l'enfant sont des créatures des bois. Le garçon commerce avec des êtres aux corps humains et aux têtes d'animaux, dont on comprend bientôt qu'ils sont l'incarnation des âmes des disparus. Bien sûr, malgré l'interdit érigé par son père, son chemin va croiser celui d'un humain, ce qui le mènera dans un village voisin de la forêt, jusqu'à faire remonter à la surface le drame qui a poussé son père à s'exiler.

Cette trame classique est brodée d'incursions dans un fantastique animiste, qui donne une personnalité aux lieux et aux choses. L'animation se prête bien à ce genre d'univers qui peut métamorphoser sans effort les visages et les corps, jeter le doute sur leur nature. Hayao Miyazaki a bâti son oeuvre sur cette double essence du monde visible. D'une certaine manière, Jean-Christophe Dessaint, qui signe ici son premier long-métrage, propose un reflet européen du monde chamanique construit par le vieux maître japonais. Le traitement souvent grotesque des personnages (et parfois mièvre, la figure féminine pose décidément un défi quasi insurmontable au cinéma d'animation) rappelle lui aussi l'"anime" japonais.

Jeux de lumières complexes

Les bois et les champs procèdent d'une tout autre histoire, qui remonte aux paysagistes européens du XIXe siècle. L'attention accordée aux décors naturels porte ses fruits : on dirait presque que Le Jour des corneilles a été tourné en extérieurs. Traités sans souci maniaque des contours, mais avec des jeux de lumières complexes qui traduisent aussi bien le passage des heures que celui des saisons, ces paysages sylvestres ou campagnards donnent à l'univers du film une vérité qui s'étend aux personnages les plus fantasmagoriques comme aux situations plus convenues.

Un dernier mot sur les voix. Elles ont été enregistrées au tout début du long processus de fabrication du film, il y a presque trois ans. Jean Reno a prêté la sienne au père Courge, Lorant Deutsch au fils, Isabelle Carré à l'héroïne. Celle-ci est la fille d'un médecin de campagne humaniste dont les intonations seront sans doute familières aux cinéphiles : Claude Chabrol a enregistré ce texte peu de temps avant sa mort, le 12 septembre 2010. Ce fut sa dernière contribution au cinéma, c'est aussi une dernière raison d'aller voir Le Jour des corneilles.