09 MARS 2021

Le règne du “prêt-à-jeter ”

Dans une enquête alarmante sur l’industrie de la "fast fashion" cosignée avec Gilles Bovon, le journaliste Édouard Perrin constate les dégâts sociaux et environnementaux causés par un secteur en plein essor.

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Quelle découverte vous a le plus interpellé lors de votre enquête ?

Édouard Perrin : La fast fashion, qui consiste en un renouvellement très rapide des collections, a fait accélérer toute la mode classique, si bien qu’on en est aujourd’hui à l’ultra fast fashion. Elle a presque inversé, avec une rapidité surprenante, la tendance de ces cinquante dernières années à fabriquer les vêtements dans des pays du tiers-monde. En effet, certaines marques ne peuvent plus attendre des livraisons depuis l’Asie tant le système s’est accéléré. Elles ont donc réimporté des ateliers en Europe de l’Est, en Turquie et en Grande-Bretagne notamment, où les conditions de travail et les salaires des ouvriers sont à peu près dignes de ce qui se passe dans les pays pauvres. J’ai rencontré des acteurs du textile britannique qui me disaient avoir arrêté de s’approvisionner à Leicester parce qu’ils savaient ce qu’il s’y passait. Ils affirmaient avoir moins de difficultés à surveiller leurs usines au Bangladesh !

 

Vous évoquez les impacts sociaux de la fast fashion. Qu’en est-il des conséquences environnementales ?

Édouard Perrin : Aujourd’hui, vous pouvez, en restant chez vous, commander des vêtements quasiment sans vous en rendre compte et très rapidement via les différentes plates-formes ou les réseaux sociaux. On a réduit ce que les spécialistes du marketing appellent les “frictions”, c’est-à-dire tous les moments qui pourraient freiner l’acte d’achat, pour faire consommer plus. Comme les vêtements sont moins chers, leur quantité vendue chaque année a explosé. Les filières de recyclage sont littéralement étouffées par la masse de textile à gérer. On a beau mettre nos vêtements usagés dans des bennes, s’ils ne sont pas suffisamment solides pour être réutilisés, ils ne seront pas recyclés. Ils le seront peut-être pour fabriquer autre chose, mais les dispositifs techniques sont soit non écologiques, soit non économiques.

 

La législation ne freine-t-elle pas ces dérives industrielles ?

Édouard Perrin : Il existe des textes sur les responsabilités des multinationales. Mais, du fait de l’addition de nombreux sous-traitants, une marque peut toujours affirmer n’être pas responsable de ce qui se passe dans les ateliers de tel ou tel intermédiaire qui collabore avec elle. C’est justement pour pallier l’absence de législation que les ONG, avec lesquelles nous avons travaillé, ont forcé les marques à donner des informations sur leurs chaînes d’approvisionnement, lors de nombreuses campagnes. Certaines s’y prêtent plus que d’autres. Zara, par exemple, refuse de dévoiler le nom de ses fournisseurs.

 

Propos recueillis par Élise Pontoizeau