"Le vélo, un signe de richesse et de débrouillardise"
Hier, le standing d'une famille chinoise était évalué par les "4 grands", raconte le réalisateur Wang Xiaoshuai : "une montre, une machine à coudre, une radio et un vélo." Même si les choses ont changé, la bicyclette reste un signe extérieur de richesse.
Le vélo est un des héros de votre film. Que représente-t-il pour les Chinois ?Wang Xiaoshuai : Le vélo a toujours été un des emblèmes de Beijing (Pékin) et même de la Chine tout entière. Pendant des années, c'était le seul moyen de transport de toute la famille. Lorsque j'étais jeune, le fait d'avoir plusieurs vélos était un signe de richesse ou de débrouillardise. Avant la période d'ouverture de la Chine, le standing d'une famille était évalué par ce que l'on appelait les « 4 grands » : une montre, une machine à coudre, une radio et un vélo.
C'est toujours le cas ?Aujourd'hui, les 4 grands ne sont plus les mêmes... Bien que le vélo ait perdu beaucoup de sa gloire, il reste un moyen de transport important, car il n'y a pas beaucoup de motos ni de voitures. Il n'est plus l'objet que tout le monde désire mais reste quelque chose dont on a toujours besoin même si on souhaite le remplacer. A la différence de la machine à coudre ou de la radio, il est devenu peu à peu le symbole d'un manque de moyens. Guei, le coursier, dispose d'un vélo ; pour lui, c'est le signe d'une évolution sociale et une transition importante par rapport à sa vie au village ; Jian, bien qu'étudiant, vient d'une famille modeste toujours en admiration devant un vélo, et pour qui l'achat d'un vélo représente une décision majeure. L'amour de Jian pour le vélo dépasse son réel besoin de l'objet. Son désir de le posséder est motivé par l'orgueil qu'il éprouve devant ses camarades et devant son amie.
Le vélo introduit une différenciation sociale ?Oui. En Chine, par exemple, les différences entre la ville et la campagne sont énormes, les paysans rêvent de la vie citadine qu'ils supposent aisée et passionnante. Guei est l'un d'eux. La quête de l'argent et de tout ce qui est matériel est sa seule motivation. Le vélo est alors non seulement l'outil nécessaire à sa survie mais aussi l'affirmation de sa vie de citadin. Jian n'est pas riche, mais le fait de vivre en ville lui suffit. C'est un rebelle et un faible, tellement faible qu'il ne peut se battre qu'avec une brique et l'aide de ses camarades ; les valeurs traditionnelles n'ont plus de sens pour lui ; le rôle fonctionnel du vélo a été remplacé par la vanité car sa possession vous confère la dignité qui vous manque.
Le film est également le portrait d'une ville...Beijing, c'est une ville aux aspects très contrastés : des cours, des ruelles où l'on se perd, des vieux qui prennent le soleil, des toits traditionnels et, dans d'autres quartiers, des buildings modernes et toute l'agitation d'une grande métropole moderne. Mais il y a de moins en moins de ruelles, les endroits où nous avons pu filmer étaient en fait très limités, il nous fallait bouger toute l'équipe d'un endroit à l'autre. Je voulais, à chaque fois changer d'axe dans les scènes de poursuite mais nous n'avions pas la possibilité d'utiliser les mêmes endroits en permanence. Il nous fallait toujours nous entretenir avec les résidents et les organisations de chaque quartier. Je me suis rendu compte avec tristesse que cet aspect pittoresque de la ville était en train de disparaître, tout en ayant conscience que les habitants de ces quartiers avaient le droit d'avoir de meilleures conditions de vie.
Avec Beijing bicycle, vous passez d'un mode de production officieux à un tournage officiel, qu'est ce que cela implique ?Tout dépend du sujet du film. Les deux approches découlent de motivations différentes. Un tournage « officiel » demande un effort permanent pour obtenir les autorisations nécessaires, cela change la perception qu'on peut avoir du film et peut devenir restrictif, ce qui n'est pas bon pour le réalisateur. Un tournage « officieux » signifie simplement un mode de production beaucoup plus libre. Le fait d'être indépendant d'une structure de production établie entraîne la création d'un nombre croissant d'unités de production, chaque unité recherchant son marché de distribution et son identité propre. Dans le système actuel, tourner officieusement permet plus de mobilité et plus d'indépendance. Mais tant que cela continuera d'être illégal, la taille des projets restera de petite envergure et les conditions de travail anormales.