Les 54 premières années - Briser le silence
Qu’est-ce qu’une occupation militaire ? À travers les témoignages de soldats israéliens qui l’ont mise en œuvre dans les territoires palestiniens, le documentariste Avi Mograbi décrypte une impitoyable machine de guerre.
Comment avez-vous rassemblé les témoignages d’anciens soldats israéliens ?
Avi Mograbi : Je suis cofondateur de l’ONG Breaking the Silence (“Briser le silence”) qui collecte des récits de vétérans ayant servi dans les territoires palestiniens occupés. Je montais des témoignages, qui majoritairement relatent des actions de routine exécutés par les soldats pour garder la population sous contrôle, lorsque j’ai pris conscience que ces paroles portaient en elles-mêmes un film en germe.
Pourquoi avoir donné à ce documentaire la forme d’un manuel d’occupation militaire ?
Avi Mograbi : Au départ, je voulais me concentrer uniquement sur ce qu’est la réalité d’une occupation, avec les contrôles, les perquisitions, les arrestations, les détentions... Puis j’ai compris que ces témoignages me fournissaient la matière d’un éventail d’actions à mener pour perpétuer cette oppression. J’ai eu l’idée de les regrouper dans un manuel militaire avec un expert qui restitue le contexte historique pour mieux guider le spectateur. J’ai décidé d’endosser le rôle : c’est pour cela que dans le film je porte un bouc qui me fait ressembler à un vieux professeur ! En m’inspirant aussi de Machiavel, j’ai créé un personnage cynique, hermétique à la souffrance.
Les témoignages de soldats sont illustrés par des archives filmées…
Avi Mograbi : Ce choix découle notamment d’un sentiment d’insécurité ressenti au sein de l’ONG au fil des années. Car certains nous accusent de fabriquer des témoignages portant sur des exactions inexistantes. Le fait de pouvoir soutenir la voix des témoins par des images d’archives me permet de battre en brèche les accusations de nos opposants qui, eux, soutiennent l’occupation israélienne.
Quel accueil a reçu votre film en Israël ?
Avi Mograbi : Il n’a pas pu y être projeté. Il a été rejeté par tous les diffuseurs et par les festivals, qui, d’ordinaire, sélectionnent mes films. J’ai donc posté le film sur Facebook à destination du Moyen-Orient. Nous avons ainsi pu toucher un large public. Nous comptabilisons déjà plus de 3 millions de vues, ce qui dépasse nos prévisions.
Gardez-vous espoir que l’occupation israélienne cesse ?
Avi Mograbi : Je garde espoir mais j’ai peu d’espérances. Par où commencer ? Rien ne permet aujourd’hui de penser que la situation pourrait s’améliorer. Tout est bloqué, il suffit de regarder les événements récents qui se sont produits à Jérusalem et Gaza.
Propos recueillis par Laure Naimski
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