30 SEPTEMBRE 2021

Les Frères Morozov - Révolutionnaires des arts

Entretien avec Anne Baldassari, commissaire générale de l’exposition que la Fondation Louis-Vuitton consacre, à compter du 22 septembre, aux collectionneurs visionnaires que furent les frères Morozov.

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En quoi cette rétrospective sur les frères Morozov s’inscrit-elle dans la continuité de celle dédiée à leur aîné et ami Sergueï Chtchoukine, organisée par la Fondation en 2016 ?

Anne Baldassari : Réalisées en partenariat avec les musées de l’Ermitage, des Beaux-Arts Pouchkine et la galerie Tretiakov, les deux expositions du cycle “Icônes de l’art moderne” sont complémentaires pour retracer une époque, celle de l’âge d’argent moscovite (1890- 1914), auquel ont contribué les Morozov et Chtchoukine. Ensemble, et avec quelques autres figures éminentes de leur temps, comme les frères Tretiakov, Savva Mamontov ou Mikhaïl Riabouchinski, ces riches industriels ont créé un nouveau monde économique, social et culturel, en bâtissant notamment des bibliothèques, des écoles, des centres de formation pour les jeunes ouvriers et les femmes, ainsi qu’une incroyable collection d’art née entre Paris et Moscou.

 

Comment ont-ils forgé leur goût pour les arts ?

Anne Baldassari : Comme on l’apprend dans le documentaire, les ancêtres des Morozov, comme des Chtchoukine, étaient des serfs, engagés dans la foi schismatique de la vieille-croyance orthodoxe. Jusqu’à l’obtention de droits civils par une loi de 1905, ils étaient considérés comme des parias. Ils ont vécu des pogroms et ont été parqués dans des ghettos. Ces origines colorent leurs acquisitions. Les Morozov cherchent à être pris au dépourvu, à s’inventer eux-mêmes, car ils viennent de nulle part. Contrairement à la haute tradition académique de Saint-Pétersbourg, ces amateurs d’art s’agitent tous azimuts sur le front de l’avant-garde, en allant chercher des toiles à Paris.

 

Quel est le projet commun de Chtchoukine et des Morozov ?

Anne Baldassari : Leur objectif est de bâtir une collection réunissant tous les grands courants novateurs nés en France – du fauvisme au cubisme – pour la galerie Tretiakov. C’est un travail presque programmatique. De 1907 à 1914, leurs acquisitions sont exponentielles. Ils vont se mettre à acheter les mêmes artistes à Paris, mais sans esprit de concurrence, en échangeant leurs points de vue et en s’encourageant. Après la révolution russe de 1917, cette collection va être confisquée, nationalisée, puis dispersée.

 

Que reste-t-il de cet héritage ?

Anne Baldassari : Les archives des Morozov ont été préservées à la galerie Tretiakov et au musée Pouchkine. Nous disposons de bons d’achat ou de correspondances avec les marchands parisiens. On peut voir la collection se construire pas à pas, au fil de leurs hésitations et de leurs engouements. L’exposition sur les Morozov apporte un éclairage documentaire sur cette période oubliée de l’histoire.

 

Propos recueillis par Hélène Porret

 

L’exposition “La collection Morozov. Icônes de l’art moderne”, dont ARTE est partenaire, se tiendra à la Fondation Louis-Vuitton du 22 septembre 2021 au 22 février 2022.