06 JANVIER 2022

Les hautes herbes - Entretien avec Jérôme Bonnell

Réalisateur précoce, Jérôme Bonnell tourne son premier film à 23 ans ("Le chignon d’Olga", 2002). Les yeux clairs remporte le prix Jean Vigo et confirme son style intimiste et sa fidélité à une troupe de comédiens : Nathalie Boutefeu, Florence Loiret-Caille, plus tard Jean-Pierre Darroussin ou Emmanuelle Devos. Entre drame et comédie, il explore la solitude et les sentiments avec des films comme "J’attends quelqu’un", "Le temps de l’aventure", "À trois on y va". Son septième long-métrage, "Chère Léa", est sorti en salles en décembre 2021. Avec "Les hautes herbes" il fait sa première incursion à la télévision.

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Quel a été le point de départ des Hautes herbes ?

Jérôme Bonnell : Mon désir premier était de filmer l’acuité de l’enfance: cette faculté de perception à la fois sourde et précise qui caractérise les enfants, qui ressentent mais ne comprennent pas tout. Cela coïncidait aussi avec une envie de retrouver les émotions que j’ai pu moi-même éprouver en tant qu’enfant, face aux films ou aux livres « qui font peur ». J’ai imaginé que je m’adressais à cet enfant-là.

 

Il s’agit bien d’un thriller, mais qui ne se donne pas d’emblée comme tel…

Jérôme Bonnell : C’est un thriller souterrain. J’ai pris soin de faire apparaître cette tonalité de manière progressive. Le point de départ de l’histoire est une simple disparition, pas spécialement inquiétante. Aucun danger ne plane a priori, et pourtant…La forme du thriller (et je crois que cela est valable pour tous les genres) m’a permis d’exacerber ce que je voulais raconter. C’est un alibi, qui donne paradoxalement la possibilité d’aller plus loin dans l’exploration de l’intime.

 

La ruralité est aussi une dimension importante ?

Jérôme Bonnell : L’univers campagnard m’a toujours inspiré. C’est un monde dans lequel j’ai passé beaucoup de temps quand j’étais enfant, et dont je percevais des choses sans forcément les comprendre. Pour moi, la campagne a à voir avec la dureté de la vie, et avec une image intemporelle de la France. Si vous lisez La terre d’Émile Zola, vous y retrouverez des problématiques identiques à celles d’aujourd’hui. La violence est là depuis toujours, même si elle s’intensifie de plus en plus. Je voulais que la dimension sociale de la série résonne au-delà de l’époque actuelle, comme la composante d’une tragédie plus intemporelle.

 

Comme un conte ?

Jérôme Bonnell : « Les hautes herbes » raconte la fin d’une innocence : le parcours initiatique d’un enfant sans mère, qui se retrouve plongé dans des histoires d’adultes et rencontre un père de substitution qu’il va devoir renverser pour grandir. Ce sont des thèmes classiques ! On y retrouve aussi cette dimension de cruauté qui caractérise les contes.

 

Le choix d’Emmanuelle Devos pour jouer Ève était évident ?

Jérôme Bonnell : Emmanuelle Devos rend complexe tout ce qu’elle joue. Elle fait des propositions tellement différentes et intéressantes à chaque prise… C’est un plaisir au tournage, et une douleur au montage parce qu’on est obligé de choisir ! Il y a en elle quelque chose d’espiègle et d’impérieux à la fois, qui convenait tout à fait au personnage. Ève est mue par une intime conviction, et s’improvise enquêteuse au point de tyranniser son entourage. Emmanuelle a su la rendre drôle, mais pas seulement.

 

Vous composez autour d’elle un casting jeune et original.

Jérôme Bonnell : Je me suis tourné vers des comédiens dont je connaissais déjà le travail, mais qu’on ne voit pas partout : Jonathan Couzinié, Louise Chevillotte, India Hair, Lazare Gousseau. Ils m’ont comblé. Quant à Antonin Chaussoy qui interprète Jules, c’est un petit miracle de l’avoir trouvé. Comme son personnage c’est un garçon sensible, habité, qui regarde et écoute beaucoup. Il était capable de proposer des choses très précises, et a fait preuve d’une étonnante acuité par rapport à son travail.

 

Avec cette mini-série vous explorez un nouveau registre. Avez-vous changé votre manière de mettre en scène ?

Jérôme Bonnell : Non. Je recherche une forme de simplicité, mine de rien, et avec rigueur. Ce « mine de rien » est très important pour moi, car j’aime l’idée d’une apparente absence d’effet. J’utilise assez peu de musique, et tenais à ne pas surcharger les scènes de montage son et de bruitages. Ne pas donner les signes extérieurs du suspense permet pour moi d’en accroître la portée… La violence est d’autant plus forte quand elle surgit.

 

 

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