07 JANVIER 2019

Les Inrocks - Emily Barnett : Mademoiselle de Joncquières

Ce qui frappe dans le dixième long métrage de Mouret, c’est son économie de moyens qui confine à une espèce de pureté du geste, de mise en scène. On assiste à une succession de scènes, des “tableaux” où se meuvent les deux amants livrés à l’art de discourir. C’est toute la force du cinéma que de nous montrer celle des mots : au fond, rien n’arrive dans ce film, et l’action au point mort est prise en charge par une parole performative qui ne nous laisse rien voir (les caresses, les coups bas) et tout imaginer. A cet exercice, les deux acteurs sont assez géniaux. Car l’improvisation orale est leur métier (Baer), leur complicité, palpable, déliée dans ce plaisir d’un jeu malicieux et théâtral. Entrées, sorties, ellipses, une demeure, un jardin et le tour est joué. Cela relève de la magie. Ou d’une célérité jubilatoire aiguisée par le montage et le flow des comédiens. Peut-être que "Mademoiselle de Joncquières" gagnerait à davantage de gravité, façon Laclos, dessinant l’arrière-cour sombre d’une comédie allègre et taquine. Cependant, celle-ci ne manque pas de cruauté – et c’est là que Mouret surprend le plus. Rapport de force, complot, victimes innocentes, le conte moral pourrait se finir sur une note amère. Mais chez Mouret, l’espoir d’un baiser ou d’une autre vie valent toujours heureusement mieux que la respectabilité.