03 JUIN 2017

Les Inrockuptibles - Jacky Goldberg: La Famille Wolberg

" Dans une des plus belles scènes de La Famille Wolberg, deux personnages discutent dans une cabane de jardin. De la guitare, de la famille, de ses petits secrets… L’oncle bohème trace au sol un trait imaginaire censé séparer “la vie et l’à-côté de la vie”, et explique à son petit neveu la joie que procure le passage de l’un à l’autre ; et les deux garçons de sautiller ainsi allègrement au-dessus de cette ligne, “dans la vie/pas dans la vie”, faisant d’une idée littéraire un émerveillement cinématographique, avec trois fois rien. Cette idée, qui structure l’ensemble du film, on pourrait la désigner simplement par “nostalgie”. Ce serait toutefois manquer de précision. En dépit de son titre qui pourrait laisser présager un film choral, La Famille Wolberg s’articule presque entièrement autour d’un personnage, Simon, pater familias d’origine juive, mari aimant et maire hyperactif d’une commune du Béarn (Mourenx). Interprété par l’éblouissant François Damiens (...) qui tempère par sa drôlerie la gravité du film, Simon Wolberg est un personnage paradoxal. Il voudrait d’un côté tout embrasser (sa famille, ses fantômes, la vie de ses concitoyens), de l’autre tout laisser filer – ne plus se préoccuper d’autre chose que de faire l’amour l’après-midi à son épouse qui s’éloigne dangereusement de lui (bouleversante Valérie Benguigui, elle aussi dans un emploi inhabituel). Simon est à la fois un utopiste, homme public “invincible” (dit de lui sa fille), engagé dans un futur concret avec les élections qui s’approchent ; et un père mélancolique qui, voyant le sable du temps couler de ses poches percées, s’agite pour recoudre la déchirure honteuse de sa propre faiblesse. Plus il s’approche du précipice, plus il danse. Toute la beauté du film, suspendu comme l’oncle et le neveu entre la vie et son à-côté (le cinéma ?), tient dans cette opposition, dans cet état de permanente fébrilité, dans cet entre-deux qu’Axelle Ropert (...) choisit de déployer à chaque strate de son (court) mélodrame (...) Vers la fin du film, Marianne, sa femme, dit à leur fils : “Tu n’es qu’un enfant, et déjà nostalgique”. Ce qu’elle dit là en fait, c’est que la nostalgie porte moins sur le passé que sur le présent – de quel passé un enfant de 12 ans pourrait-il être nostalgique ? Moins sur le regret d’un âge d’or révolu que sur l’incapacité à stopper la marche du temps, à éviter que celui-ci n’abatte ses mâchoires d’acier sur le frêle esquif qui porte ceux qu’on aime. Alors oui, et à cette condition seulement, on peut dire que La Famille Wolberg est un film sur la nostalgie. Mais surtout un beau film d’aujourd’hui."

" Dans une des plus belles scènes de La Famille Wolberg, deux personnages discutent dans une cabane de jardin. De la guitare, de la famille, de ses petits secrets… L’oncle bohème trace au sol un trait imaginaire censé séparer “la vie et l’à-côté de la vie”, et explique à son petit neveu la joie que procure le passage de l’un à l’autre ; et les deux garçons de sautiller ainsi allègrement au-dessus de cette ligne, “dans la vie/pas dans la vie”, faisant d’une idée littéraire un émerveillement cinématographique, avec trois fois rien. Cette idée, qui structure l’ensemble du film, on pourrait la désigner simplement par “nostalgie”. Ce serait toutefois manquer de précision.

En dépit de son titre qui pourrait laisser présager un film choral, La Famille Wolberg s’articule presque entièrement autour d’un personnage, Simon, pater familias d’origine juive, mari aimant et maire hyperactif d’une commune du Béarn (Mourenx). Interprété par l’éblouissant François Damiens (...) qui tempère par sa drôlerie la gravité du film, Simon Wolberg est un personnage paradoxal. Il voudrait d’un côté tout embrasser (sa famille, ses fantômes, la vie de ses concitoyens), de l’autre tout laisser filer – ne plus se préoccuper d’autre chose que de faire l’amour l’après-midi à son épouse qui s’éloigne dangereusement de lui (bouleversante Valérie Benguigui, elle aussi dans un emploi inhabituel).

Simon est à la fois un utopiste, homme public “invincible” (dit de lui sa fille), engagé dans un futur concret avec les élections qui s’approchent ; et un père mélancolique qui, voyant le sable du temps couler de ses poches percées, s’agite pour recoudre la déchirure honteuse de sa propre faiblesse. Plus il s’approche du précipice, plus il danse.

Toute la beauté du film, suspendu comme l’oncle et le neveu entre la vie et son à-côté (le cinéma ?), tient dans cette opposition, dans cet état de permanente fébrilité, dans cet entre-deux qu’Axelle Ropert (...) choisit de déployer à chaque strate de son (court) mélodrame (...) Vers la fin du film, Marianne, sa femme, dit à leur fils : “Tu n’es qu’un enfant, et déjà nostalgique”. Ce qu’elle dit là en fait, c’est que la nostalgie porte moins sur le passé que sur le présent – de quel passé un enfant de 12 ans pourrait-il être nostalgique ? Moins sur le regret d’un âge d’or révolu que sur l’incapacité à stopper la marche du temps, à éviter que celui-ci n’abatte ses mâchoires d’acier sur le frêle esquif qui porte ceux qu’on aime. Alors oui, et à cette condition seulement, on peut dire que La Famille Wolberg est un film sur la nostalgie. Mais surtout un beau film d’aujourd’hui."