03 JUIN 2017

Les Inrockuptibles - Romain Blondeau: Arrête ou je continue

"En introduction à chacun de ses films, Sophie Fillières favorisait traditionnellement un coup du sort, un événement extraordinaire qui allait perturber la vie de ses personnages. (...) A partir de ces petits bouleversements, la cinéaste et scénariste, qui n’a jamais caché son goût des contes, pouvait filmer l’ordre déréglé des existences et laisser s’épanouir son sens aigu du comique dans un enchaînement survolté de malentendus, quiproquos et situations embarrassantes. En cela, son nouveau film, Arrête ou je continue, marque une rupture inattendue et peut être décisive dans le système Sophie Fillières, car aucun épisode extraordinaire n’intervient en préambule. C’est au contraire dans l’ordinaire le plus gris et banal qu’éclot cette fiction du désamour, explorant le moment de bascule où un homme et une femme passent du désir à la répulsion. Ils s’appellent Pierre et Pomme (les fabuleux Mathieu Amalric et Emmanuelle Devos), et ont vécu un amour fou avant de laisser leur relation s’abîmer au point, aujourd’hui, de se détester. (...) Et c’est là que la réalisatrice déploie toute l’étendue de son talent, cet art délicat du dialogue et de la situation dont on a souvent évoqué l’origine (le cinéma d’auteur français des années 90), en omettant ce qu’il partageait, aussi, avec les grands névrosés de la comédie américaine, de Woody Allen à Louis C. K. Fidèle à cette lignée, l’humour de Sophie Fillières n’a au fond jamais travaillé qu’un seul motif : la gêne, l’embarras, et cette douleur maladive d’être au monde dont tous ses personnages semblent affectés. C’est un humour corrosif, assez peu aimable, qui trouve dans cette histoire de conflit domestique sa formule la plus accomplie : ici, la drôlerie est éruptive, les répliques fusent à un rythme soutenu et il suffit de deux ou trois idées de mise en scène pour figurer la désunion d’un ménage (une bouteille de champagne qui explose, une horloge dont les aiguilles s’affolent…). Mais Arrête ou je continue ne fait pas que prolonger et affiner le style de Sophie Fillières ; il en constitue aussi une étonnante remise en perspective. (...) Les dernières notes légères sur lesquelles s’achève le film ne tromperont d’ailleurs plus personne : Arrête ou je continue est une comédie illusoire. Son rire est un cri déchirant."

"En introduction à chacun de ses films, Sophie Fillières favorisait traditionnellement un coup du sort, un événement extraordinaire qui allait perturber la vie de ses personnages. (...) A partir de ces petits bouleversements, la cinéaste et scénariste, qui n’a jamais caché son goût des contes, pouvait filmer l’ordre déréglé des existences et laisser s’épanouir son sens aigu du comique dans un enchaînement survolté de malentendus, quiproquos et situations embarrassantes.

En cela, son nouveau film, Arrête ou je continue, marque une rupture inattendue et peut être décisive dans le système Sophie Fillières, car aucun épisode extraordinaire n’intervient en préambule. C’est au contraire dans l’ordinaire le plus gris et banal qu’éclot cette fiction du désamour, explorant le moment de bascule où un homme et une femme passent du désir à la répulsion. Ils s’appellent Pierre et Pomme (les fabuleux Mathieu Amalric et Emmanuelle Devos), et ont vécu un amour fou avant de laisser leur relation s’abîmer au point, aujourd’hui, de se détester. (...)

Et c’est là que la réalisatrice déploie toute l’étendue de son talent, cet art délicat du dialogue et de la situation dont on a souvent évoqué l’origine (le cinéma d’auteur français des années 90), en omettant ce qu’il partageait, aussi, avec les grands névrosés de la comédie américaine, de Woody Allen à Louis C. K. Fidèle à cette lignée, l’humour de Sophie Fillières n’a au fond jamais travaillé qu’un seul motif : la gêne, l’embarras, et cette douleur maladive d’être au monde dont tous ses personnages semblent affectés.

C’est un humour corrosif, assez peu aimable, qui trouve dans cette histoire de conflit domestique sa formule la plus accomplie : ici, la drôlerie est éruptive, les répliques fusent à un rythme soutenu et il suffit de deux ou trois idées de mise en scène pour figurer la désunion d’un ménage (une bouteille de champagne qui explose, une horloge dont les aiguilles s’affolent…). Mais Arrête ou je continue ne fait pas que prolonger et affiner le style de Sophie Fillières ; il en constitue aussi une étonnante remise en perspective. (...)

Les dernières notes légères sur lesquelles s’achève le film ne tromperont d’ailleurs plus personne : Arrête ou je continue est une comédie illusoire. Son rire est un cri déchirant."