03 JUIN 2017

Les Inrockuptibles - Serge Kaganski: Y aura-t-il de la neige à Noël ?

" Sandrine Veysset et son film surgissent dans le champ du cinéma sans prévenir, venant de nulle part, ne se réclamant d'aucun héritage ou d'aucune famille, ne revendiquant ni père ni mère, si ce n'est ses propres parents. Sandrine Veysset n'a pas fait la Femis, n'a pas grandi en lisant les Cahiers ou Positif, ne s'est jamais nourrie à la mamelle Cinémathèque, a complètement séché l'étape "obligatoire" du court métrage et n'a pas réalisé son film avec les livres de Bazin ou Daney dans la poche gauche en guise de boussole théorique. Tout cela se sent de manière immédiate à la vision de son film. Si l'on insiste sur cet aspect des choses, ce n'est ni pour enfermer Sandrine Veysset dans un tiroir "génération spontanée" ni pour faire l'apologie (ou la critique) d'un certain désert culturel cinématographique provincial, mais pour souligner la première forte impression que produit Y aura-t-il de la neige à Noël ? : sa force brute de décoffrage, sa manière et sa matière naturelles (mais pas naturalistes), sa sincérité sans fard, son évidence qui semble couler de source, son absence de toute artificialité et de tout présupposé théorique, sa liberté vis-à-vis de toute référence identifiable, ses choix esthétiques qui résultent toujours d'une nécessité plutôt que d'une propension à la coquetterie. Si le film peut faire penser ­ très fugacement ­ à Rossellini (les comédiens amateurs, l'attention aux gestes quotidiens, le semi-miracle de la fin), Renoir (celui de Toni ) ou Pialat (un mauvais père, une enfance parfois dénudée), on sent bien que c'est tout à fait fortuitement et qu'il doit ses qualités avant tout à l'instinct de Sandrine Veysset et aux histoires qu'elle portait en elle (...) Ça commence en plein été, la photo surexposée renforçant la luminosité de la saison et la sensation de canicule. L'époque est indéterminée (aujourd'hui ? il y a dix ans ? vingt ans ?) mais le reste est précis : les lieux ­ une ferme plus ou moins isolée ­, les personnages ­ un père exploitant agricole, une mère et une noria d'enfants ­ et "l'action" ­ le quotidien d'une famille d'agriculteurs, du travail aux champs aux jeux des enfants. La mère semble être au centre de ce micromonde (...) C'est une famille rurale sans problème qui vit les jours laborieux mais heureux d'un été ordinaire. Sandrine Veysset sait rendre le tableau très vivant, capte une foule de détails et de mouvements ­ mais comme en passant, sans jamais rien souligner, respectant la liberté de regard du spectateur. Elle ne mythifie pas la vie aux champs et se garde de tout lyrisme écolo ou panthéiste : elle montre le quotidien de la vie campagnarde, ses bonheurs mais aussi sa dureté. Ni La Terre de Dovjenko ni un clip du ministère de l'Agriculture. Mais au fur et à mesure que l'histoire va avancer, que l'on va quitter l'été pour filer vers l'automne, puis l'hiver, Sandrine Veysset va opérer un mouvement général parallèle à celui des saisons. Lentement, par petites touches, mais inexorablement, les personnages vont évoluer, leurs relations se dévoiler et se préciser... Le tableau général va se resserrer et s'assombrir, des extérieurs aveuglants de l'été aux intérieurs nocturnes de l'hiver, du groupe familial vers les individus qui le composent. Formellement autant que thématiquement, Y aura-t-il de la neige ? sera donc une affaire de refroidissement. Dans ce contexte, la présence du père deviendra de plus en plus forte et oppressante (...) Mais l'intelligence de cinéaste de Veysset fait qu'elle échappe totalement au brûlot féministe facile, préférant donner sa chance à tous les personnages qu'elle filme, ou préférant le particulier d'une histoire aux généralités de la sociologie. Témoin, ces quelques scènes intimes entre le père et la mère : malgré toutes ses tares, le père est encore capable d'éclairs de tendresse, de gestes et de mots d'amour. La mère aime cet homme, elle a simplement la malchance de tomber sur un enfoiré. Mais c'est comme ça, une histoire d'amour ne se juge pas, irréductible au regard des autres et n'appartenant qu'à ceux qui la vivent...."

" Sandrine Veysset et son film surgissent dans le champ du cinéma sans prévenir, venant de nulle part, ne se réclamant d'aucun héritage ou d'aucune famille, ne revendiquant ni père ni mère, si ce n'est ses propres parents. Sandrine Veysset n'a pas fait la Femis, n'a pas grandi en lisant les Cahiers ou Positif, ne s'est jamais nourrie à la mamelle Cinémathèque, a complètement séché l'étape "obligatoire" du court métrage et n'a pas réalisé son film avec les livres de Bazin ou Daney dans la poche gauche en guise de boussole théorique. Tout cela se sent de manière immédiate à la vision de son film. Si l'on insiste sur cet aspect des choses, ce n'est ni pour enfermer Sandrine Veysset dans un tiroir "génération spontanée" ni pour faire l'apologie (ou la critique) d'un certain désert culturel cinématographique provincial, mais pour souligner la première forte impression que produit Y aura-t-il de la neige à Noël ? : sa force brute de décoffrage, sa manière et sa matière naturelles (mais pas naturalistes), sa sincérité sans fard, son évidence qui semble couler de source, son absence de toute artificialité et de tout présupposé théorique, sa liberté vis-à-vis de toute référence identifiable, ses choix esthétiques qui résultent toujours d'une nécessité plutôt que d'une propension à la coquetterie.

Si le film peut faire penser ­ très fugacement ­ à Rossellini (les comédiens amateurs, l'attention aux gestes quotidiens, le semi-miracle de la fin), Renoir (celui de Toni ) ou Pialat (un mauvais père, une enfance parfois dénudée), on sent bien que c'est tout à fait fortuitement et qu'il doit ses qualités avant tout à l'instinct de Sandrine Veysset et aux histoires qu'elle portait en elle (...)

Ça commence en plein été, la photo surexposée renforçant la luminosité de la saison et la sensation de canicule. L'époque est indéterminée (aujourd'hui ? il y a dix ans ? vingt ans ?) mais le reste est précis : les lieux ­ une ferme plus ou moins isolée ­, les personnages ­ un père exploitant agricole, une mère et une noria d'enfants ­ et "l'action" ­ le quotidien d'une famille d'agriculteurs, du travail aux champs aux jeux des enfants. La mère semble être au centre de ce micromonde (...) C'est une famille rurale sans problème qui vit les jours laborieux mais heureux d'un été ordinaire. Sandrine Veysset sait rendre le tableau très vivant, capte une foule de détails et de mouvements ­ mais comme en passant, sans jamais rien souligner, respectant la liberté de regard du spectateur. Elle ne mythifie pas la vie aux champs et se garde de tout lyrisme écolo ou panthéiste : elle montre le quotidien de la vie campagnarde, ses bonheurs mais aussi sa dureté.

Ni La Terre de Dovjenko ni un clip du ministère de l'Agriculture. Mais au fur et à mesure que l'histoire va avancer, que l'on va quitter l'été pour filer vers l'automne, puis l'hiver, Sandrine Veysset va opérer un mouvement général parallèle à celui des saisons. Lentement, par petites touches, mais inexorablement, les personnages vont évoluer, leurs relations se dévoiler et se préciser... Le tableau général va se resserrer et s'assombrir, des extérieurs aveuglants de l'été aux intérieurs nocturnes de l'hiver, du groupe familial vers les individus qui le composent. Formellement autant que thématiquement, Y aura-t-il de la neige ? sera donc une affaire de refroidissement. Dans ce contexte, la présence du père deviendra de plus en plus forte et oppressante (...)

Mais l'intelligence de cinéaste de Veysset fait qu'elle échappe totalement au brûlot féministe facile, préférant donner sa chance à tous les personnages qu'elle filme, ou préférant le particulier d'une histoire aux généralités de la sociologie. Témoin, ces quelques scènes intimes entre le père et la mère : malgré toutes ses tares, le père est encore capable d'éclairs de tendresse, de gestes et de mots d'amour. La mère aime cet homme, elle a simplement la malchance de tomber sur un enfoiré. Mais c'est comme ça, une histoire d'amour ne se juge pas, irréductible au regard des autres et n'appartenant qu'à ceux qui la vivent...."