11 JUILLET 2019

Les Tombeaux sans noms - Conversation avec les morts

Dans son documentaire "Les tombeaux sans noms", Rithy Panh arpente les lieux où neuf des siens ont péri sous les Khmers rouges pour tenter de transmettre, avec la médiation des rites bouddhiques, la difficulté et la douleur du deuil. Propos choisis.

Âmes errantes

 “Avec Les tombeaux sans noms, je m’approche peut-être encore un peu plus de ce que signifie être victime. Comment agit le temps qui passe ? Comment vivre le deuil ? Comment donner une sépulture à ceux que notre culture considère comme des âmes errantes ? J’ai mis des années à oser retourner dans ces plaines et ces forêts où une grande partie de ma famille est morte. Forcément, entrer dans des zones aussi obscures comporte des risques : danger psychologique, danger de se tromper… C’est un film âpre, un film difficile, mais je ne pouvais pas faire autrement.”

Entrer dans le cadre

“Comment montrer une cérémonie, un changement de peau, une renaissance, sans faire un film ethnographique ? J’y suis allé un peu comme un archéologue, un peu comme un croyant, un peu comme un anthropologue, avec beaucoup d’émotion. Si j’avais pu, comme dans L’image manquante, me représenter par une petite figurine, je l’aurais fait. Mais les bonzes, les kru*, les devins ont été très clairs : les cérémonies de deuil, il fallait que je les vive. Je ne pouvais pas mettre quelqu’un d’autre à ma place.”

Vivre sa vie

“Film après film, j’essaie de parler, non seulement de ma famille, mais aussi de ceux qui sont morts avec eux. Plus je fais des films, plus je les vois, sans être sûr que ce soit une bonne chose. Ce rapport entre l’image, les âmes et moi est assez compliqué. Je pense en tout cas qu’on ne peut pas échapper pour toujours aux questions. Si nous ne nous les posons pas nous-mêmes, elles viendront de nos enfants. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi ce manque existe-t-il ? La vie est chouette, précieuse, pleine de surprises. C’est dommage qu’il y ait un trou dedans. Parce que je crois que l’art peut remplir ce manque, j’ai consacré ces trente ou trente-cinq dernières années à cette histoire avec l’espoir qu’un jour si quelqu’un s’interroge, il aura, sinon la réponse, au moins ces éléments de réponse qui peuvent permettre de vivre sa vie.”

 

* Les médecins traditionnels au Cambodge.