18 AOÛT 2020

L'esclavage, une histoire commune

Ambitieuse et passionnante série documentaire, "Les routes de l’esclavage" retrace l’histoire des traites négrières du VIIe au XIXe siècle, entre domination, violence et profit. Entretien avec la coréalisatrice Fanny Glissant.

Media

Comment définiriez-vous l’esclavage ? Fanny Glissant : C’est la négation de l’autre et de son humanité, afin de l’instrumentaliser pour utiliser sa seule force de travail. Ce phénomène s’impose comme une histoire commune ; celle, dans la douleur, de la mondialisation de la violence et de la déportation de 25 millions de personnes. J’aimerais que chacun se sente à la fois descendant d’esclaves et de propriétaires d’esclaves.

 

La série n’aborde pas le sujet au travers du prisme des droits de l’homme, mais de celui de la géographie et de l’économie. Pourquoi ce choix ? Fanny Glissant : D’un côté, la posture victimaire avait produit nombre d’œuvres et un certain discours, de l’autre, celle de la culpabilisation ne nous paraissait pas pertinente pour investiguer les seuls faits : où, pourquoi, comment cette demande de main-d’œuvre est-elle apparue ? Il ne s’agissait pas de partir du ressenti de l’esclavage, mais d’analyser ce phénomène mondial au travers de ses territoires et circuits.

 

Comment l’Afrique s’est-elle retrouvée au centre des routes de l’esclavage ? Fanny Glissant : D’un esclavage qui inclut, entre autres, des Slaves ou des Caucasiens, la traite se resserre progressivement – avec l’émergence de l’Empire arabomusulman – sur l’Afrique subsaharienne puis équatoriale. À partir du XVe siècle, l’esclave devient exclusivement africain. La traite transatlantique entraîne alors une “production” industrielle d’esclaves, jusqu’à 100 000 captifs déportés par an, soit 8 millions en trois siècles. Pour la légitimer, il faut un arsenal idéologique, auquel l’Église contribue.

 

La série montre combien le capitalisme y puise ses racines… Fanny Glissant : À ses débuts, le capitalisme occidental, alimenté par les revenus coloniaux, a besoin des esclaves. Massifié par de nouvelles techniques, l’esclavage a constitué l’un des rouages majeurs du système puis de la révolution industrielle : il existe un continuum entre esclavagisme, capitalisme et colonialisme.

 

En quoi l’esclavagisme a-t-il engendré le racisme et non l’inverse ? Fanny Glissant : Le “passage du milieu”, entre les côtes africaines et les Caraïbes des plantations, entraîne dans son sillage les prémices de la race, une notion tardive qui légitime la domination. Arme de contrôle social, la race est même, à l’heure de l’abolition, inscrite dans la loi et, pire encore, devient un outil scientifique, pour asseoir la mission civilisatrice européenne en Afrique.

 

Propos recueillis par Sylvie Dauvillier

 

Retrouvez la série en cliquant ICI.