07 JUIN 2017

Libération - Ange-Dominique Bouzet: La Dignité du peuple

"Il y a deux ans, avec Mémoires d'un saccage, Fernando Solanas signait la plus vitriolée des leçons d'économie : la mise à nu du pseudo «miracle» néolibéral argentin imputé aux présidents Carlos Menem et à Fernando De la Rúa avec la bénédiction du Fonds monétaire international. Comment, en une douzaine d'années, avec en arrière-plan la trahison des élites et le carnaval politico-médiatique, l'une des nations les plus riches d'Amérique latine avait vu ses complexes industriels et énergétiques passer sous contrôle étranger, sa dette extérieure tripler et son système de santé et d'éducation couler par le fond tandis que le cinquième de sa population sombrait dans le chômage, moyennant 35 000 morts de malnutrition par an... Entamé dans le feu des manifestations de décembre 2001 qui précipitèrent la chute du gouvernement De la Rúa, le film brassait prises de vues directes, archives d'actualité, commentaires off et orchestration lyrique avec une formidable maestria. Dans la Dignité du peuple, Solanas reprend, en les développant, quelques-uns des témoignages alors recueillis pour peindre une autre fresque, qui est à la fois le pendant et le contrechamp du Saccage : un hommage aux expériences de résistance populaire spontanément dressée contre le «génocide social» infligé au pays. Victoires solidaires. Le titre espagnol chante la dignité «de los nadies» : les anonymes, les gens de rien. Les pauvres, qui l'ont toujours été ou qui le sont devenus, dans une Argentine périurbaine où la misère s'étale à l'horizontale, dans de basses bicoques essaimées au long de routes boueuses. De ces décors désolés ont surgi les mobilisations de piqueteros, ces chômeurs de longue durée organisés pour barrer les routes et gagner le centre-ville. Caméra vidéo en main, Solanas accompagne un maître d'école qui a impulsé un réfectoire communautaire. Visite une usine reprise par ses salariés. Suit la lutte des femmes d'agriculteurs pour empêcher la saisie de leurs exploitations. Relate le combat quotidien des personnels des hôpitaux débordés... Autant de victoires solidaires, menées dans un environnement épouvantable. Le cinéaste confère une dynamique vibrante à ces «petites histoires», dont l'assemblage choral transcende la simple juxtaposition documentaire. Cette apocalypse d'un pays féru des droits de l'homme parle forcément de près, aujourd'hui, aux inquiétudes de tout public occidental «moyen»."

"Il y a deux ans, avec Mémoires d'un saccage, Fernando Solanas signait la plus vitriolée des leçons d'économie : la mise à nu du pseudo «miracle» néolibéral argentin imputé aux présidents Carlos Menem et à Fernando De la Rúa avec la bénédiction du Fonds monétaire international. Comment, en une douzaine d'années, avec en arrière-plan la trahison des élites et le carnaval politico-médiatique, l'une des nations les plus riches d'Amérique latine avait vu ses complexes industriels et énergétiques passer sous contrôle étranger, sa dette extérieure tripler et son système de santé et d'éducation couler par le fond tandis que le cinquième de sa population sombrait dans le chômage, moyennant 35 000 morts de malnutrition par an...

Entamé dans le feu des manifestations de décembre 2001 qui précipitèrent la chute du gouvernement De la Rúa, le film brassait prises de vues directes, archives d'actualité, commentaires off et orchestration lyrique avec une formidable maestria. Dans la Dignité du peuple, Solanas reprend, en les développant, quelques-uns des témoignages alors recueillis pour peindre une autre fresque, qui est à la fois le pendant et le contrechamp du Saccage : un hommage aux expériences de résistance populaire spontanément dressée contre le «génocide social» infligé au pays. Victoires solidaires.

Le titre espagnol chante la dignité «de los nadies» : les anonymes, les gens de rien. Les pauvres, qui l'ont toujours été ou qui le sont devenus, dans une Argentine périurbaine où la misère s'étale à l'horizontale, dans de basses bicoques essaimées au long de routes boueuses. De ces décors désolés ont surgi les mobilisations de piqueteros, ces chômeurs de longue durée organisés pour barrer les routes et gagner le centre-ville. Caméra vidéo en main, Solanas accompagne un maître d'école qui a impulsé un réfectoire communautaire. Visite une usine reprise par ses salariés. Suit la lutte des femmes d'agriculteurs pour empêcher la saisie de leurs exploitations. Relate le combat quotidien des personnels des hôpitaux débordés... Autant de victoires solidaires, menées dans un environnement épouvantable.

Le cinéaste confère une dynamique vibrante à ces «petites histoires», dont l'assemblage choral transcende la simple juxtaposition documentaire. Cette apocalypse d'un pays féru des droits de l'homme parle forcément de près, aujourd'hui, aux inquiétudes de tout public occidental «moyen»."