19 AOÛT 2019

Libération - Camille Nevers: Les Oiseaux de passage

Cette histoire ne se limite pas à égrener la vie, chronique anthropologique et liens claniques, familiaux, d’une succession de figures hautes en couleur, elle s’échine à transcrire scène à scène, crescendo, la légende de tout un peuple. Du simple topique pour touristes, du folklore indigène, le film s’élève au niveau supérieur, à la beauté des archétypes. Les plus viles créatures sont hissées à des dimensions fabuleuses, hiératiques, voyous bouffons à la dent d’or, mères magiciennes, messagers ou démons en Ray-Ban, gardes cerbères : destin et capitalisme, prospérité et mauvais augures, villa rococo au milieu de rien, du vent, décadence et prophéties, oiseaux et sauterelles, essaim des massacres, mort, mission civilisatrice et dressage à la barbarie, tragédie, psychédélisme… Voilà qui dessine la ligne sinueuse, folle, parcourue par le film. Chaque homme qu’on liquide fait sursauter, le bruit de la détonation est surpuissant. Comme il y eut la revisite sous une forme antihéroïque, patibulaire, abâtardie, du western classique par le western spaghetti, il faudrait parler des Oiseaux de passage comme d’un «western indien» ou «chaman», mêlant ethnologie tribale - les Wayúu donc, vivant tout au nord de la Colombie, seule enclave amérindienne que les Espagnols jamais ne conquirent -, sortilèges, visions, présages et ultraviolence. Les messagers sacrés se relaient en palabres innombrables, marchandages infinis, dans la grande parentèle du narcotrafic. L’argent facile se planque en profanation des tombes des ancêtres, comme les fusils, nerfs de la guerre où tout implose fatalement. La poussière retourne à la poussière. D’une âpreté belle via sa parfaite économie des moyens, sa mise en scène des grands espaces, ses cadres terriens, les Oiseaux de passage est de ces films qui ne se dévoilent pas au premier abord, qui «deviennent». Les plus beaux sans doute parce que les plus saisissants, ces films qu’on n’avait pas vu venir se déploient lentement.

Cette histoire ne se limite pas à égrener la vie, chronique anthropologique et liens claniques, familiaux, d’une succession de figures hautes en couleur, elle s’échine à transcrire scène à scène, crescendo, la légende de tout un peuple. Du simple topique pour touristes, du folklore indigène, le film s’élève au niveau supérieur, à la beauté des archétypes. Les plus viles créatures sont hissées à des dimensions fabuleuses, hiératiques, voyous bouffons à la dent d’or, mères magiciennes, messagers ou démons en Ray-Ban, gardes cerbères : destin et capitalisme, prospérité et mauvais augures, villa rococo au milieu de rien, du vent, décadence et prophéties, oiseaux et sauterelles, essaim des massacres, mort, mission civilisatrice et dressage à la barbarie, tragédie, psychédélisme… Voilà qui dessine la ligne sinueuse, folle, parcourue par le film. Chaque homme qu’on liquide fait sursauter, le bruit de la détonation est surpuissant.

Comme il y eut la revisite sous une forme antihéroïque, patibulaire, abâtardie, du western classique par le western spaghetti, il faudrait parler des Oiseaux de passage comme d’un «western indien» ou «chaman», mêlant ethnologie tribale - les Wayúu donc, vivant tout au nord de la Colombie, seule enclave amérindienne que les Espagnols jamais ne conquirent -, sortilèges, visions, présages et ultraviolence. Les messagers sacrés se relaient en palabres innombrables, marchandages infinis, dans la grande parentèle du narcotrafic. L’argent facile se planque en profanation des tombes des ancêtres, comme les fusils, nerfs de la guerre où tout implose fatalement. La poussière retourne à la poussière.

D’une âpreté belle via sa parfaite économie des moyens, sa mise en scène des grands espaces, ses cadres terriens, les Oiseaux de passage est de ces films qui ne se dévoilent pas au premier abord, qui «deviennent». Les plus beaux sans doute parce que les plus saisissants, ces films qu’on n’avait pas vu venir se déploient lentement.