03 JUIN 2017

Libération - Clément Ghys, 17/05/2016: Personal Shopper

" Par quel bout faut-il s’emparer de Personal Shopper ? Par la réunion d’Olivier Assayas et de Kristen Stewart, deux ans après Sils Maria ? Par le retour de son auteur sur un terrain fantastique, vingt ans après Irma Vep ? Par les références lettrées aux mouvances spiritistes des XIXe et XXe siècles, creusets d’inspirations des arts plastiques ou de la psychanalyse ? Par la présence de son interprète principale à la photogénie ahurissante ? Par cet aréopage de robes portées à l’écran ou sur le tapis rouge cannois par Kristen Stewart et dont les images sont omniprésentes ? Tout Personal Shopper tient à cette ambiguïté, à cette façon humide de glisser entre nos mains dès qu’on se saisit d’un de ses aspects, chacun d’entre eux formant une facette qui réfléchit les autres, à l’image de cette robe de miroirs que revêt Stewart dans le film. (...) Visuellement, Personal Shopper couvre un champ très large de l’imagerie fantomatique. C’est un spectre de spectres. Assayas filme des ectoplasmes en effets spéciaux, leur matière blanche tournoyant autour de Maureen, recrée les séances de spiritisme de Victor Hugo à Jersey dans une séquence très démonstrative en noir et blanc (avec Benjamin Biolay dans le rôle de l’écrivain), filme de façon (trop) pédagogique les peintures de la Suédoise Hilma af Klint. Le cinéaste, dont la filmographie s’est constamment enrichie des flux visuels de l’époque, convoque également l’imagerie numérisée, les glitch des conversations Skype ou la sobriété immaculée et bleutée des échanges sur téléphone. Assayas filme avec brio Maureen naviguant entre ces registres d’image. Personal Shopper dégouline d’objets de luxe. Chanel est omniprésent, tout comme Cartier ou Louboutin. En centrant l’attention sur la petite main, celle qui porte les paquets et pas les robes, le cinéaste expose le mécanisme de cette industrie du luxe qui, qu’on le déplore ou non, est devenue l’un des pôles du glamour. On connaît le rapport fascination/répulsion d’Olivier Assayas, connaisseur du situationnisme, avec ce monde-là, et il déploie clairement une critique du matérialisme hystérique. Mais on ne peut s’empêcher de trouver qu’il y a quelque chose d’étrange dans le système du film : Maureen se plaint du monde de la presse où les annonceurs imposent les choix éditoriaux, alors même que le contrat Chanel de son interprète, Kristen Stewart, offre au film d’étendre son exposition jusque dans des sphères non-cinéphiles. (...) Les robes de tulle ou de soie que Maureen vole à sa patronne sont légères, lui donnent un air de Fantômette ou d’elfe. Mais roulées comme des chiffons dans des sacs peinturlurés de logos, elles sont lourdes, la jeune femme peine à les porter. Et il y a, dans le halo spiritiste qui gravite autour de Maureen, dans les liens qu’on peut tracer avec Louis Feuillade, Fantomas ou le cinéma de genre, quelque chose de pesant, dont il sera intéressant de suivre la postérité. Paradoxalement - mais sans doute s’agit-il d’une autre astuce très calibrée d’Assayas - les moments les plus marquants de Personal Shopper sont ceux où Kristen Stewart est dépouillée de ses fardeaux luxueux, mise à nu, non pas physiquement mais émotionnellement, seule, traînant ses désillusions et angoisses dans les rues de Paris. L’actrice y est filmée comme ce qu’elle : un corps d’aujourd’hui, passé par tous les engrenages de l’entertainment et de la culture contemporaine, une beauté quasi monstrueuse dans sa dévoration du cinéma dans son ensemble, qu’il se trouve dans des films ou non. L’esprit, c’est elle."

" Par quel bout faut-il s’emparer de Personal Shopper ? Par la réunion d’Olivier Assayas et de Kristen Stewart, deux ans après Sils Maria ? Par le retour de son auteur sur un terrain fantastique, vingt ans après Irma Vep ? Par les références lettrées aux mouvances spiritistes des XIXe et XXe siècles, creusets d’inspirations des arts plastiques ou de la psychanalyse ? Par la présence de son interprète principale à la photogénie ahurissante ? Par cet aréopage de robes portées à l’écran ou sur le tapis rouge cannois par Kristen Stewart et dont les images sont omniprésentes ?

Tout Personal Shopper tient à cette ambiguïté, à cette façon humide de glisser entre nos mains dès qu’on se saisit d’un de ses aspects, chacun d’entre eux formant une facette qui réfléchit les autres, à l’image de cette robe de miroirs que revêt Stewart dans le film.

(...) Visuellement, Personal Shopper couvre un champ très large de l’imagerie fantomatique. C’est un spectre de spectres. Assayas filme des ectoplasmes en effets spéciaux, leur matière blanche tournoyant autour de Maureen, recrée les séances de spiritisme de Victor Hugo à Jersey dans une séquence très démonstrative en noir et blanc (avec Benjamin Biolay dans le rôle de l’écrivain), filme de façon (trop) pédagogique les peintures de la Suédoise Hilma af Klint. Le cinéaste, dont la filmographie s’est constamment enrichie des flux visuels de l’époque, convoque également l’imagerie numérisée, les glitch des conversations Skype ou la sobriété immaculée et bleutée des échanges sur téléphone. Assayas filme avec brio Maureen naviguant entre ces registres d’image.

Personal Shopper dégouline d’objets de luxe. Chanel est omniprésent, tout comme Cartier ou Louboutin. En centrant l’attention sur la petite main, celle qui porte les paquets et pas les robes, le cinéaste expose le mécanisme de cette industrie du luxe qui, qu’on le déplore ou non, est devenue l’un des pôles du glamour. On connaît le rapport fascination/répulsion d’Olivier Assayas, connaisseur du situationnisme, avec ce monde-là, et il déploie clairement une critique du matérialisme hystérique. Mais on ne peut s’empêcher de trouver qu’il y a quelque chose d’étrange dans le système du film : Maureen se plaint du monde de la presse où les annonceurs imposent les choix éditoriaux, alors même que le contrat Chanel de son interprète, Kristen Stewart, offre au film d’étendre son exposition jusque dans des sphères non-cinéphiles.

(...) Les robes de tulle ou de soie que Maureen vole à sa patronne sont légères, lui donnent un air de Fantômette ou d’elfe. Mais roulées comme des chiffons dans des sacs peinturlurés de logos, elles sont lourdes, la jeune femme peine à les porter. Et il y a, dans le halo spiritiste qui gravite autour de Maureen, dans les liens qu’on peut tracer avec Louis Feuillade, Fantomas ou le cinéma de genre, quelque chose de pesant, dont il sera intéressant de suivre la postérité.

Paradoxalement - mais sans doute s’agit-il d’une autre astuce très calibrée d’Assayas - les moments les plus marquants de Personal Shopper sont ceux où Kristen Stewart est dépouillée de ses fardeaux luxueux, mise à nu, non pas physiquement mais émotionnellement, seule, traînant ses désillusions et angoisses dans les rues de Paris. L’actrice y est filmée comme ce qu’elle : un corps d’aujourd’hui, passé par tous les engrenages de l’entertainment et de la culture contemporaine, une beauté quasi monstrueuse dans sa dévoration du cinéma dans son ensemble, qu’il se trouve dans des films ou non. L’esprit, c’est elle."