03 JUIN 2017

Libération - Eric Loret: 57000 km entre nous

" Delphine Kreuter réussit (...) le portrait d'une adolescente appelante, désirante, avec cette si «poétique façon de se construire» que permet le virtuel. C'est la première fois d'ailleurs qu'Internet est traité sur toile autrement qu'en grand méchant déréalisant, ou, au contraire, en baguette magique positiviste. Nat est d'une génération anti-identitaire, ludique et «sans fard», indique Kreuter. Son beau-père lui demande si elle va bien : «Peut-être, peut-être pas.» Les adolescents se montrent leur visage à travers l'écran : «C'est toi ? - Peut-être.» Pareils à ce dont ils ne savent rien, pareils à l'inconnu, au possible. Comme c'est un film sur le désir, sur ce qui est «entre nous», c'est aussi forcément un film sur les mères, sur la terreur qu'ont les filles de leur ressembler. Celle de Nat est plombée et le tient de sa propre mère, qu'on nous présente dès le début en clown lifté et pétaradant, auto-icône au milieu d'un lotissement désolé. Celle d'Adrien est une grande bourgeoise tout aussi solitaire, incapable d'affronter la maladie de son fils (un cancer incurable). Elles sont d'une certaine façon pires que les hommes, qui, pour être inutiles, ne sont pas forcément nuisibles. Seul le père de Nat est finalement sauvable, pour les raisons (sexuelles) qu'on verra dans le film et qu'on ne peut dévoiler sous peine de représailles. Quant à la construction de l'héroïne, elle se réalise très logiquement par l'image. Alors que le film avait commencé DV au poing, tout en regard subjectif moche (abus de grand-angle), digérant le monde en une espèce de cauchemar à destination des blogs et filant la nausée au spectateur, il évoluera, avec l'amour de Nat pour Adrien, vers une belle conscience du négatif et de l'autre, dans une séquence à la Dziga Vertov : la jeune fille se fixe une caméra sur le front et montre à son amoureux malade ce que voit la machine, ce qu'est un monde aperçu par le ciné-œil, enfin dégagé des mensonges adultes et de la dramatisation bourgeoise."

" Delphine Kreuter réussit (...) le portrait d'une adolescente appelante, désirante, avec cette si «poétique façon de se construire» que permet le virtuel. C'est la première fois d'ailleurs qu'Internet est traité sur toile autrement qu'en grand méchant déréalisant, ou, au contraire, en baguette magique positiviste. Nat est d'une génération anti-identitaire, ludique et «sans fard», indique Kreuter. Son beau-père lui demande si elle va bien : «Peut-être, peut-être pas.» Les adolescents se montrent leur visage à travers l'écran : «C'est toi ? - Peut-être.» Pareils à ce dont ils ne savent rien, pareils à l'inconnu, au possible.

Comme c'est un film sur le désir, sur ce qui est «entre nous», c'est aussi forcément un film sur les mères, sur la terreur qu'ont les filles de leur ressembler. Celle de Nat est plombée et le tient de sa propre mère, qu'on nous présente dès le début en clown lifté et pétaradant, auto-icône au milieu d'un lotissement désolé. Celle d'Adrien est une grande bourgeoise tout aussi solitaire, incapable d'affronter la maladie de son fils (un cancer incurable). Elles sont d'une certaine façon pires que les hommes, qui, pour être inutiles, ne sont pas forcément nuisibles. Seul le père de Nat est finalement sauvable, pour les raisons (sexuelles) qu'on verra dans le film et qu'on ne peut dévoiler sous peine de représailles.

Quant à la construction de l'héroïne, elle se réalise très logiquement par l'image. Alors que le film avait commencé DV au poing, tout en regard subjectif moche (abus de grand-angle), digérant le monde en une espèce de cauchemar à destination des blogs et filant la nausée au spectateur, il évoluera, avec l'amour de Nat pour Adrien, vers une belle conscience du négatif et de l'autre, dans une séquence à la Dziga Vertov : la jeune fille se fixe une caméra sur le front et montre à son amoureux malade ce que voit la machine, ce qu'est un monde aperçu par le ciné-œil, enfin dégagé des mensonges adultes et de la dramatisation bourgeoise."